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RELOCALISER (2)

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    RELOCALISER (2)

    Par noscausescommunes | Contributions libres | 0 commentaire | 18 juin, 2020 | 0

    Dans le contexte décrit précédemment (cf. note Relocaliser (1) ) et compte tenu du degré d’intégration européenne de notre économie comme de celle de nos partenaires, le slogan de la « relocalisation » à l’échelle nationale risque vite de sonner creux sauf à tenter d’en décortiquer la problématique et d’élargir ensuite la perspective.

    À quelle échelle, tout d’abord, retrouver une autonomie stratégique ?

    Un objectif volontariste de relocalisation doit s’appliquer d’abord aux secteurs indispensables à la sécurité du pays … même s’il ne sera guère aisé d’en faire l’inventaire exhaustif et de mobiliser les moyens pertinents.

    Deux dimensions en lien avec la mondialisation méritent à ce stade d’être soulignées.

    Celle, tout d’abord, du périmètre de la production des produits critiques : les médicaments, par exemple, étant produits à partir de principes actifs, eux-mêmes produits à partir de matières premières naturelles ou de produits chimiques, quels pans de la chaîne de valeur doivent être considérés comme critiques et relocalisés ? Ces décisions nécessitent d’analyser l’importance de chaque intrant dans le processus de production, les possibilités de substitution par d’autres produits et les risques de rupture de leur approvisionnement, liés notamment à la concentration de la production.

    Celle du lieu de production ensuite : sur le territoire national ou dans un espace proche mais plus vaste ? L’enjeu étant de réduire les risques, l’espace de l’Union, dans lequel les entreprises françaises sont très intégrées, ne peut que constituer, avec le territoire national, le cadre pertinent de potentiels arbitrages entre souveraineté et coûts des politiques de sécurisation d’approvisionnement (par la relocalisation ou la constitution de stocks).

    La création d’un Commissariat à la Reconquête de notre sécurité sanitaire, économique et numérique1 en charge d’un inventaire des situations et des enjeux et connecté à nos partenaires européens paraît à ce stade indispensable pour avancer utilement (Ce pourrait être l’un des chapitres du budget commun de relance que suggère la Commission européenne – à l’initiative de la France et de l’Allemagne).

    Mais au delà de ces domaines « vitaux », ne faudrait-il pas parler non de « relocalisation » mais bien plutôt de « politique industrielle » et l’envisager à partir de l’espace économique auquel nous appartenons ? N’est-ce pas là l’enjeu majeur ?

    Une économie fortement intégrée … à l’Europe

    Si le « made in France » représente encore 81% de la consommation des ménages, il ne couvre que 36% de celle de produits manufacturés et seulement un tiers des investissements …. contre 90% pour les services (cf. Insee premières 2019 n°1756).
    Quant à nos exportations, elles comprennent également 30% d’importations, très majoritairement indirectes.

    Cette intégration est, par ailleurs, essentiellement régionale !

    Le contenu importé des produits consommés en France provient certes des États-Unis (8%) et de Chine (7,7%) mais principalement d’Allemagne (13%) puis du Royaume Uni (6,7%), d’Espagne (6,5%), d’Italie (6,2%) et de Belgique (5,4%). L’Allemagne est notre principal partenaire d’importation (suivie de la Chine et des Etats-Unis) et d’exportation (avant les Etats-Unis, l’Italie, l’Espagne, la Belgique et le Royaume Uni.

    Enfin si nos principaux déficits sont d’abord avec la Chine, l’Allemagne, les Pays Bas et l’Italie viennent immédiatement après (tandis que nos principaux excédents le sont avec le Royaume Uni, Singapour et le Qatar – chiffres 2019).

    Le commerce intra-communautaire joue donc ici un rôle décisif2 : les échanges de biens entre les États membres de l’Union (soit 3.061 milliards d’euros en 2019) sont en effet 44% plus élevés que les exportations de l’UE-27 vers les pays tiers (2.132 milliards d’euros), l’Allemagne totalisant 22,8% des exportations de biens de l’UE-27 à destination d’autres États membres et 23,2% des importations de biens de l’UE-27 provenant d’autres États membres.

    Commerce de biens intra UE-27, 2019 (en %, part des expéditions/arrivées de l’UE-27)
    Source: Eurostat

    Les parts les plus élevées du commerce intra-UE (supérieur à 75% du commerce total) sont au Luxembourg (82%), en Slovaquie (79,5%), en Tchéquie (76,6%) et en Hongrie (75,1%), ce ratio chutant à 51,5% en Grèce et à 37,5% en Irlande.

    Commerce de biens intra UE-27 et extra UE-27, 2019 (importations + exportations, en % du commerce total)
    Source: Eurostat

    Enfin, en 2016, le taux d’ouverture commerciale des échanges de biens des quatre principaux membres de la zone euro se situait entre 21 points et 24 points de PIB pour la France, l’Italie et l’Espagne, et atteignait 35 points pour l’Allemagne (avec un taux d’ouverture de 48 en moyenne pour la zone et de plus de 60 pour les plus petits pays, dont les deux tiers vis‐à‐vis de l’UE).

    Dans ce contexte, pour la France, l’ouverture vis‐à‐vis de l’Allemagne représente en 2016 près de 30% de son ouverture intra‐UE, cette proportion étant plus faible pour l’Italie, l’Espagne ou le Royaume‐Uni (mais près de 35% en moyenne pour les nouveaux membres de l’UE hors zone euro).

    La France constitue également, mais moins que l’Allemagne, un partenaire commercial privilégié pour les membres historiques de la zone euro : le taux d’ouverture vis‐à‐vis de la France représente en 2016 respectivement 13% et 12% de l’ouverture intra‐UE de l’Allemagne et du Royaume Uni, respectivement 17% et 21% de celles de l’Italie et de l’Espagne, et 12% de celle des autres membres historiques de la zone euro.

    La France, l’Italie et l’Espagne ont enfin une forte ouverture mutuelle, qui représente 25% environ de l’ouverture intra‐UE dans le cas de la France et de l’Italie, et plus de 30% dans le cas de l’Espagne (NB : de son côté, l’Allemagne apparaît moins ouverte vis‐à‐vis de la France, de l’Italie et de l’Espagne que vis‐à‐vis des autres membres historiques de l’UE, notamment en zone euro. Elle est fortement ouverte vis‐à‐vis des nouveaux membres de l’UE hors zone euro, et ce, davantage que la France, l’Italie ou l’Espagne. D’autre part, les échanges mutuels entre les nouveaux membres de l’Union Européenne sont importants : l’ouverture mutuelle de ces pays représente plus de 35% de l’ouverture intra‐UE dans le cas des nouveaux membres de la zone euro, près de 25 pour les autres).

    Le recul du « made in »

    Cette intrication s’accompagne assez logiquement d’un recul des fabrications nationales partout en Europe mais de façon différenciée. Ainsi, le « made in » en biens manufacturés de la France, proche de 40%, (comme celui du Royaume Uni) est inférieur à celui de l’Allemagne et de l’Italie (50%) comme de l’Espagne (45%) (NB : Celui des États-Unis approche les 65%).

    Entre 2005 et 2015, le « made in » français a reculé de 1,9 point, contre 1 point en moyenne pour les pays de l’OCDE, -1,6 au Royaume-Uni, -1,3 au Danemark et -1 en Italie. Le « made in » allemand a diminué plus nettement (-3,6%), tout comme celui du Japon (-4%) ou de la Belgique (-4,3%). À l’inverse, les « made in » américains (+0,8%), espagnols (+0,5%) ou suédois (+1,7%) se sont accrus sur cette période.

    La Chine en ligne de mire ?

    Analyser la structure des échanges de la France souligne la complexité des processus internationalisés et relativise, en pointant le rôle joué par la Chine, l’enjeu de possibles relocalisations soulevant plutôt la problématique du dumping social et environnemental.

    Ainsi, si nos importations provenant d’Allemagne sont assez variées, les contenus en importations sont en revanche plus ciblés venant de la Chine (pour les produits informatiques), de l’Espagne (pour les véhicules automobiles), de Suisse (pour des équipements électroniques et optiques), ou encore de Luxembourg (s’agissant des services d’intermédiation financière). Les biens du seul champ manufacturier sont, quant à eux, surtout importés d’Allemagne et … de Chine, et les denrées alimentaires d’Allemagne, des Pays-Bas et d’Italie. Enfin, nos importations de textile proviennent à 36 % de … la Chine.

    Au total, si nos relations avec nos partenaires restent stables, le contenu de la consommation française en importations chinoises augmente sensiblement (+3,9%) – alors que recule celui en importations italiennes (-2,5%), japonaises (-1%), espagnoles (-1,2%) et britanniques (-1,1%) mais augmente celui en importations américaines (+0,8%), polonaises (+0,9%) ou irlandaises (+0,5%). La progression des contenus de la consommation française en importations chinoises résulte notamment des textiles (+20,6%), des équipements électriques (+17,2%) et des produits informatiques (+15,9%). NB : Les importations de produits allemands pour satisfaire la consommation des ménages français en équipements de transports et en activités informatiques se sont également largement développées entre 2005 et 2015 (respectivement +11,9% et +12,6%), de même que les importations de pétrole raffiné des États-Unis (+ 7,5 %).

    Une attitude plus déterminée à l’égard de la Chine serait d’autant plus logique qu’elle devrait être partagée par nos partenaires : si l’Union Européenne a tendance à s’ouvrir sur l’extérieur, la Chine, elle, s’est paradoxalement refermée. Ainsi, « la part de la valeur ajoutée chinoise dans la demande finale manufacturière française a augmenté continûment et substantiellement : de 2,5 % en 2005 à 6,9 % en 2015 », selon l’étude. Le constat est le même pour l’Allemagne. Or, dans le même temps, la part domestique dans la valeur ajoutée chinoise est passée de 69,6% à 78,1%.

    Une industrie résiliente

    Notre base productive nationale reste cependant plus importante qu’on ne le croit. Certes, l’industrie en France est passée de 5 millions de salariés en 1980 à 3 millions aujourd’hui – les ouvriers non qualifiés ayant laissé peu à peu la place aux techniciens et ouvriers qualifiés deux fois plus nombreux (ce qui explique que le salaire moyen par tête y soit 14% plus élevé que le salaire moyen interprofessionnel).

    Des études effectuées par l’Insee, il ressort que cette réduction est imputable pour un tiers aux externalisations et à l’intérim, et pour les deux tiers restant aux gains de productivité (le produit par heure y a été multiplié par 4 entre 1995 et 2015) – d’autant plus impactants que la croissance était faible – et aux pertes de marché.

    Mais ces chiffres nous disent-ils tout de la situation ? Ainsi, si la part de l’industrie dans le PIB a baissé (de 25 à 10% en 50 ans), ce n’est en revanche pas vrai de la valeur ajoutée en volume, restée stable.

    D’autant que distinguer, comme le font ces statistiques, les produits industriels des services qui les accompagnent souvent, devient de plus en plus difficile. Et si, par exemple, nos biens manufacturés représentent 75% de nos exportations, celles-ci incorporent 40% de valeur ajoutée manufacturière, 25% de composants et services achetés à l’étranger et 35% de services achetés sur le marché national.

    Une base productive fragile

    Bien qu’encore significatif, notre potentiel s’affaiblit cependant continûment. La nette dégradation du solde de la balance courante de la France pendant la première décennie de l’euro en témoigne.

    Selon le CEPII, ce déclin résulterait principalement de ses mauvaises performances à l’exportation (reflétées par une lourde chute de sa part de marché mondiale, passée de 5,8% en 1999 à 3,5% en 2017, soit une baisse de 40%). Certes, la baisse des parts de marché des pays européens dans les exportations mondiales tient mécaniquement à la diminution de leur part dans le PIB mondial liée à la montée en puissance des émergents. L’Italie a d’ailleurs connu une évolution similaire.

    Le contraste est néanmoins frappant avec l’Allemagne et l’Espagne, dont les pertes de parts de marché n’ont guère excédé 10% sur la même période. Lorsque la tendance est analysée par secteur, le luxe et surtout l’aéronautique font figure d’exception, la part de marché de la France dans les exportations aéronautique mondiales ayant sensiblement augmenté depuis 1999 (ce poste représentant en 2016 le sixième des exportations françaises de produits manufacturés).

    Mais pour l’ensemble des secteurs, le déclin est assez proche des 40% : de 3,8 à 1,6% pour l’électronique, de 6,4 à 3,1% pour la sidérurgie et de 4,5 à 3,5% entre 2011 et 2017 pour l’automobile. De même, l’agroalimentaire et la chimie – qui sont, avec l’aéronautique, les secteurs affichant les parts de marché mondial les plus importantes (4,3% et 4,5% en 2017) – ont vu leur part baisser de façon régulière depuis le début de la période. Quant au textile et au secteur des services, ils se sont en revanche maintenus sur le marché mondial et n’ont quasiment pas baissé depuis 2008.

    Le rôle-clef de l’automobile

    L’automobile a joué un rôle déterminant dans la dégradation de la balance commerciale française étant donné son importance dans les exportations (7% en moyenne sur la période) et le contraste des performances observées de part et d’autre du Rhin : l’excédent français sur ce secteur pour l’année 1999 (+6 Milliards d’euros) se transforme en déficit de 14 Mds € en 2017, alors que sur la même période, l’excédent allemand passe, lui, de 47 à 134 Mds €.

    À lui seul, le secteur automobile est donc à l’origine d’une dégradation du solde commercial de la France relativement à celui de l’Allemagne de 107 Mds € sur la période 1999-2017, soit plus du tiers de la différence de 306 Mds € qui s’est creusée. Ce contraste est d’autant plus surprenant que l’investissement, surtout immatériel, y a été élevé. Celui-ci a donc été clairement dissocié de la localisation des sites de production (posant le problème de l’utilisation faite par ses très grandes entreprises du crédit impôt recherche qui contrairement aux prévisions ne tire pas l’emploi). Dans la production des marques françaises destinée à servir le marché domestique, la part localisée dans des pays à revenu moyen inférieur à celui de la France est passée ainsi de moins de 10% au début des années 2000 à près de 50 % en 2016 ; dans le même temps, cette part n’a augmenté que de 15 à 25% pour les marques allemandes (Head & Mayer, 2018). Poursuivant dans cette logique envers et contre tout, et malgré les aides publiques qui leur sont apportées, Renault et Peugeot vont d’ailleurs délocaliser la production de la Clio et de la 208 au nom de la réduction des coûts … alors que Toyota réussit à produire sa Yaris à Valenciennes !

    La contribution plus ambiguë des multinationales françaises

    La conclusion s’impose d’elle même : la dégradation de nos échanges tient moins à l’évolution de nos coûts (les coûts unitaires de travail se sont au contraire rapprochés de l’Allemagne) ou au retard de nos dépenses de R&D (qui restent élevées par comparaison avec nos voisins) qu’à la stratégie de nos multinationales. A la différence des groupes allemands, privilégiant l’exportation, les groupes français ont ainsi massivement choisi les IDE pour gagner des marchés (la France figurant parmi les plus gros investisseurs à l’étranger), n’hésitant pas à pousser leurs sous-traitants à la délocalisation. Ainsi la production automobile des groupes français en France a-t-elle baissé et été dépassée par celle à l’étranger alors qu’elle a augmenté outre-Rhin…

    Cette priorité des multinationales françaises pour l’étranger engendre certes des revenus d’investissement nets positifs (de 43 Mds € en 2017, soit 1,9% du PIB français contre respectivement 1,5% du PIB en Allemagne et autour de 0,5% en Espagne et en Italie) qui compensent partiellement le déficit des échanges de biens et services.

    Mais les conséquences de cette stratégie pour la production et l’emploi sur le territoire national et l’exportation sont en revanche au mieux ambiguës. Les entreprises multinationales françaises employaient ainsi près de 6 millions de salariés à l’étranger en 2014, là où les multinationales allemandes n’en employaient qu’un peu plus de 5 millions, les italiennes 1,8 millions et les espagnoles moins d’un million (Vicard, 2018).

    Cette spécificité française s’est accentuée dans la période récente, le nombre d’employés et le chiffre d’affaires à l’étranger des multinationales françaises augmentant de près de 60% entre 2007 et 2014, un rythme deux fois supérieur à celui des multinationales allemandes ou italiennes.

    Enfin, d’après les statistiques de l’Insee, la part des multinationales dans les exportations françaises est restée stable à 88% entre 2011 et 2015, mais des estimations sur la période 2001-2007 avaient montré que, compte tenu des effets spécifiques aux secteurs et destinations desservis, les performances moyennes à l’exportation des entreprises indépendantes étaient meilleures que celles des sociétés appartenant à un groupe (Bellas et al., 2010).

    Quelle stratégie industrielle en déduire ?

    Au vu de ces éléments, l’on comprend aisément qu’il ne suffira pas de crier aux « relocalisations » pour que la donne change. Esquissons ici les traits, au delà de ce qui a déjà été évoqué s’agissant des secteurs vitaux, d’une stratégie de reconquête industrielle.

    • Relocaliser pourrait sans doute être l’un des axes d’une politique contractuelle de soutien aux filières aéronautiques (130.000 emplois directs) et automobiles (210.000 salariés) pour consolider ou reconstituer en France des réseaux solides de sous-traitants et faire en sorte que l’investissement consenti par l’Etat via le crédit impôt recherche bénéficie à la production nationale. Le contexte s’y prête. Les exigences de la transition climatique également qui devraient conduire à inscrire cette démarche dans une stratégie plus large d’évolution des mobilités. L’impact sur l’emploi en sera en revanche certainement limité par l’importance des reconversions à conduire et le recours à l’automatisation qui accompagne le plus souvent les processus de relocalisation.
      Pour les autres secteurs industriels (rappelons leurs effectifs : 500.000 pour l’agroalimentaire, 220.000 pour la Chimie, 165.000 pour l’armement, 60.000 pour les Télécoms et 135.000 pour l’ameublement) l’on ne voit guère d’autres pistes que des politiques horizontales visant à renforcer les bases d’une économie à haute valeur ajoutée (soutien à l’innovation, infrastructures numériques, reconnaissance et développement des qualifications, négociation sociale).
      Associées à une stratégie sectorielle de réduction des émissions de carbone, ces politiques auraient pleinement vocation à s’inscrire dans un Plan nouvelle manière, mobilisant partenaires sociaux et collectivités territoriales et traduisant « l’ardente obligation » faite au Pays.
    • En parallèle, la protection de nos intérêts industriels devrait amener à exercer un contrôle plus strict des prises de contrôle de nos entreprises par l’étranger, en mobilisant la législation nationale comme le règlement européen n°2019-452 (adopté le 19 mars 2019 et applicable à compter du 11 octobre 2020), qui permet désormais de prendre en considération les effets de l’investissement étranger « sur les infrastructures critiques, les technologies et les intrants essentiels pour la sécurité ou le maintien de l’ordre public, dont la perturbation, la défaillance ou la destruction aurait une incidence considérable dans un État membre concerné ou dans l’Union ».
    • La question du contrôle du Capital reste d’ailleurs – au regard du sujet qui nous occupe – tout à fait essentielle et devrait conduire et à faire le choix de nouvelles participations publiques pour orienter la politique de certains groupes et à lutter plus intensément contre les paradis fiscaux européens, en particulier le Luxembourg et les Pays-Bas.
      Si les sociétés françaises restent en effet essentiellement domestiques, l’actionnariat non-résident augmente avec la taille des sociétés : correspondant à 25% du capital de l’ensemble des sociétés françaises, il atteint 40% pour les seules sociétés cotées en bourse affaiblissant progressivement notre autonomie stratégique.
      Depuis la fin des années 1970, les ménages, les sociétés non financières et l’État français ont vu leur poids diminuer passant de près de 70% à 40% de l’actionnariat des sociétés cotées. Sont en cause pour expliquer ce processus et le mouvement des privatisations, et la plus faible interdépendance actionnariale des grands groupes industriels, et la baisse de la détention directe d’actions par les épargnants. Ceux-ci privilégient désormais les placements dans des produits financiers proposés par les banques et les compagnies d’assurances dont la part dans l’actionnariat français a augmenté de 20% à près du tiers entre 1977 et 2004… avant de redescendre à son niveau initial aujourd’hui .

    Evolution de l’actionnariat des sociétés cotées françaises. Source : Tristan Auvray (2018 Revue d’économie financière n°130)

    • L’évolution la plus spectaculaire tient donc à la montée en puissance d’un actionnariat non-résident dès le début des années 1990 via la liberté de circulation offerte en Europe aux capitaux. Les grandes entreprises françaises ont ainsi cédé massivement les parts qu’elles détenaient dans le capital d’autres groupes nationaux aux sociétés financières américaines. Au point que les non-résidents détiennent , depuis la fin des années 1990, 40% de la capitalisation boursière française et 15% de la capitalisation non boursière, soit près du quart de la capitalisation française totale.
      Ces participations étrangères sont composées pour moitié d’IDE et pour moitié d’investissement de portefeuille (alors que les IDE ne comptaient que pour 15% des détentions non-résidentes en 1990) via principalement les « paradis fiscaux » européens, au premier rang desquels le Luxembourg et les Pays-Bas qui jouent un véritable rôle de plateforme pour les opérations de ce genre ( en moyenne, sur la période 2001-2016, 29% des IDE et 16% des investissements de portefeuille sont passés par ces deux pays qui possèdent à eux seuls 20% des actions françaises détenues par les non-résidents). De 2001 à 2016, les IDE en provenance directe du Luxembourg et des Pays-Bas sont passés du quart au tiers des IDE en France, et les investissements de portefeuille de 12% à 19% de ce type de participations.

    Type et provenance de l’actionnariat non-résident en France (en % du total des actions françaises détenues directement par les non-résidents, 2001-2016). Source : Auvray (2018)

    • Ces non-résidents peuvent cependant être des nationaux (citoyens ou entreprises) domiciliés à l’étranger : 4% des IDE en France sont ainsi réalisés de manière ultime et pour des raisons fiscales par des groupes français via les Pays-Bas ou le Luxembourg. De même, 8% des IDE en France sont réalisés de manière ultime par les États-Unis après avoir transité par ces deux États. Et c’est la moitié des IDE en provenance de ces deux « paradis fiscaux » qui est réalisée de manière ultime par des groupes venant d’autres pays.
      Au total, les États-Unis demeurent de loin les premiers détenteurs directs de participations de portefeuille en France (le tiers), mais aussi les premiers détenteurs ultimes d’IDE (20%). Les autres actionnaires non-résidents sont essentiellement d’autres pays riches européens. La Chine et les pays du Proche et Moyen-Orient ne détiennent, quant à eux, qu’à peine plus d’1% des actions françaises.
    • Il serait plus que temps d’évaluer les conséquences pour l’emploi et notre autonomie stratégique de cette situation.
      La France pourrait aussi encourager un usage plus dynamique des instruments européens de défense commerciale (comme les mesures antidumping qui relèvent de la Commission, les mesures anti-subventions qui supposent une saisine de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et les mesures de sauvegarde qui relèvent des États) permis par le nouveau Règlement européen n°2017/2321. Sa nouvelle méthode de calcul des droits anti-dumping concerne les importations en provenance de tous les pays membres de l’OMC, qu’ils soient reconnus comme « économie de marché » ou non, et dont l’économie est caractérisée par des distorsions liées à une « intervention étatique persistante ».
      Le calcul des droits additionnels pourra tenir compte désormais du respect ou non par le pays exportateur des normes internationales fiscales, sociales et environnementales, mais aussi des éventuelles mesures discriminatoires à l’égard des investissements étrangers et en matière de droit des sociétés, de propriété intellectuelle et de faillite. Par le jeu de taxations spécifiques sur des produits ciblés, les pays tiers qui ne respectent pas certaines normes ou conventions internationales (droits humains et des travailleurs, protection de l’environnement, fiscalité, propriété intellectuelle et droits des sociétés, etc.) pourront se voir ainsi pénalisés pour accéder au marché communautaire.
      Cette politique plus offensive, que pourrait notamment justifier l’attitude commerciale de la Chine, se heurte cependant à une réalité : l’UE tire un avantage élevé du niveau d’échanges permis par la mondialisation.
      Elle est en effet la première puissance commerciale du monde, devant la Chine et les Etats-Unis (qui à eux trois assurent 45% du commerce mondial).
      Hors commerce intra-communautaire (qui représente – cf. ci-dessus – le double du commerce extra-communautaire), les échanges de biens (exportations et importations) de l’Union Européenne avec le reste du monde représentent environ 15% du commerce mondial (soit environ 1.880 Mds € en 2017) pour un excédent commercial de 197 Mds € (en 2019).

    NB : la carte ci-dessous, réalisée par l’office de statistiques européennes Eurostat, représente les principaux partenaires commerciaux de l’UE

    Certes, cette situation n’est pas également favorable à tous ses États membres : l’Allemagne assure et de loin la plus grande part du commerce extra-européen (28% des exportations européennes de biens à destination des pays tiers et 19% des importations en 2018) – suivie par le Royaume Uni (11%), l’Italie (11%) et la France (10%) pour les exportations de biens, et par les Pays-Bas (15%), le Royaume-Uni (14%) et la France (9%) pour les importations.

    Évolution du commerce extérieur de biens, UE-27, 2009-2019 (en milliards d’euros)
    Source: Eurostat

    Commerce de biens extra UE-27, 2019 (en %, part des exportations/importations de l’UE-27)
    Source: Eurostat

    L’excédent commercial extra-UE-27 enregistré par l’Allemagne est d’ailleurs le plus important pour les marchandises, évalué à 224,3 milliards d’euros en 2019, suivie de l’Italie (51,9 milliards d’euros), de l’Irlande (40,6 milliards d’euros) et de la France (39,2 milliards d’euros).

    Commerce de biens extra UE-27 par principaux partenaires, UE-27, 2009 et 2019 (en milliards d’euros)
    Source: Eurostat

    Retenons que les États-Unis restent, de loin, la plus importante destination des biens exportés par l’UE-27 en 2019 avec une part de 18% devant le Royaume Uni (14,9% du total) suivi de la Chine (9,3%). Les sept principaux marchés de destination des exportations de biens de l’UE-27 – les États-Unis, le Royaume Uni, la Chine, la Suisse, la Russie, la Turquie et le Japon – ont représenté près des trois cinquièmes (59,3%) de toutes les exportations de biens de l’UE-27.

    Principaux partenaires commerciaux pour les exportations de biens, UE-27, 2019 (en % des exportations extra UE-27)
    Source: Eurostat

    Enfin, les sept plus grands fournisseurs de biens importés par l’UE-27 étaient les mêmes pays que les sept plus gros acheteurs, représentant un peu plus des trois cinquièmes (60,7 %) de l’ensemble des biens importés dans l’UE-27, avec 18,7 % pour la Chine, 12,0 % pour les Etats-Unis et 10% pour le Royaume Uni.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Principaux partenaires commerciaux pour les importations de biens, UE-27, 2019 (en % des importations extra UE-27)
    Source: Eurostat

    Cette influence commerciale de l’Union Européenne s’inscrit en outre dans une dynamique : entre 2014 et 2019, la valeur des exportations extra-UE de l’UE-27 a augmenté pour la plupart des groupes de produits à l’exception des exportations d’énergie, qui ont diminué de 8,2% (notamment produits chimiques +35,8%, les produits alimentaires et les boissons +22,7%, ainsi que pour les matières premières +20,1%).
    Une tendance similaire est observable en ce qui concerne les importations, avec une diminution globale importante des importations extra-UE d’énergie (-15,2%) entre 2014 et 2019. À l’inverse, les importations extra-UE de machines et de véhicules ont augmenté de 45,4%, les produits chimiques de +28,6% et les autres produits manufacturés de +24,1%.

     

     

     

     

     

    Commerce extra UE-27 par principaux produits, UE-27, 2014 et 2019 (en milliards d’euros)
    Source: Eurostat

    Principales exportations par produit, UE-27, 2014 et 2019 (en % des exportations extra UE-27)
    Source: Eurostat

    Principales importations par produit, UE-27, 2014 et 2019 (en % des importations extra UE-27)
    Source: Eurostat

    Principales exportations et importations par produit, UE-27, 2019 (en % des exportations/importations extra UE-27)
    Source: Eurostat

    On comprend dans ces conditions qu’une pure logique commerciale puisse conduire l’UE à privilégier la négociation d’accords de libre-échange. Leur contestation ne saurait du coup reposer que sur des considérations sociales et plus encore de protection de l’environnement. L’ambition pourrait être de favoriser un développement plus juste et plus équilibrée, via l’établissement de droits sur les biens fabriqués en contravention avec les Conventions fondamentales de l’Organisation Internationale du Travail ou provoquant des émissions importantes de CO2. Les recettes tirées de ces taxes pourraient être « naturellement » destinées à un fonds européen de soutien à un développement régional durable et équitable … projet dont la doctrine reste à établir.

    Il ne fait guère de doutes en effet que les 4 orientations qui viennent d’être évoquées appellent une vision d’ensemble. Quelle nouvelle organisation des échanges mondiaux la France et l’UE souhaitent-elles promouvoir ? Quels efforts sont-elles prêtes à consentir pour encourager les États dépendant exclusivement d’exportations de matières premières ou de productions délocalisées à choisir le chemin d’un développement autocentré ? Quels efforts sont-elles prêtes à exiger de leurs multinationales et en contrepartie de quels types d’aide à l’investissement national ou européen ? Quel degré de coopération enfin les États membres sont-ils enclins à favoriser pour apporter à ces questions des solutions partagées ?
    Il est certain, en tout cas, qu’il ne sera pas possible d’accorder de la crédibilité aux appels au renforcement de la souveraineté voire de l’indépendance et aux relocalisations sans des réponses étayées à ces interrogations.

    Gaëtan Gorce

    (1) Ce sujet avait abordé lors de l’audition de F. Pellegrini pour Nos Causes Communes : “Comment assurer notre souveraineté numérique ?“
    Être souverain en la matière signifie d’avoir le contrôle des technologies : logicielles (si l’Europe reste en pointe, son investissement dans la recherche recule), matérielles (l’Union Européenne a perdu toute maîtrise sur les processeurs avec pour conséquence une insécurité complète) et des plateformes (où l’Europe est absente).
    Comment y parvenir ?
    En développant une vraie stratégie numérique transversale de l’Etat (via la DARSIS délégation interministérielle du numérique et de l’information) qui lui permettre de : ré-internaliser la fonction innovation ; utiliser la commande publique comme soutien aux éco-systèmes français et européens (en n’étant pas simples acheteurs de produits) ; rechercher les mutualisations.
    Il est essentiel de ne pas (plus) dépendre des fournisseurs étrangers pour que nos données restent en Europe (dans le cloud soutenir OVH plutôt que de distribuer comme l’a fait sans résultat des fortunes aux gros opérateurs) ; que nous disposions de nos propres logiciels (en embauchant ses propres concepteurs, l’Administration assure son contrôle, en priorisant des logiciels libres pour mutualiser les coûts cf. Anssi – agence nationale de la sécurité des systèmes d’information).

    (2) Pour la France, l’ouverture vis‐à‐vis de l’Allemagne représente en 2016 près de 30% de son ouverture intra‐UE, cette proportion étant plus faible pour l’Italie, l’Espagne ou le Royaume‐Uni, mais comparable pour d’autres pays, voire plus forte (près de 35 % en moyenne pour les nouveaux membres de l’UE hors zone euro). La France constitue également, mais moins que l’Allemagne, un partenaire commercial privilégié pour les membres historiques de la zone euro : le taux d’ouverture vis‐à‐vis de la France représente en 2016 respectivement 13% et 12% de l’ouverture intra‐UE de l’Allemagne et du Royaume‐Uni, respectivement 17% et 21% de celles de l’Italie et de l’Espagne, et 12% de celle des autres membres historiques de la zone euro.
    La France, l’Italie et l’Espagne ont une forte ouverture mutuelle, qui représente 25% environ de l’ouverture intra‐UE dans le cas de la France et de l’Italie, et plus de 30% dans le cas de l’Espagne. De son côté, l’Allemagne apparaît moins ouverte vis‐à‐vis de la France, de l’Italie et de l’Espagne que vis‐à‐vis des autres membres historiques de l’UE, notamment en zone euro. Par ailleurs, l’Allemagne est fortement ouverte vis‐à‐vis des nouveaux membres de l’UE hors zone euro, et ce, davantage que la France, l’Italie ou l’Espagne. D’autre part, les échanges mutuels entre les nouveaux membres de l’UE sont importants : l’ouverture mutuelle de ces pays représente plus de 35% de l’ouverture intra‐UE dans le cas des nouveaux membres de la zone euro.

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