« Une fourmi parlant français
Parlant latin et javanais,
Ça n’existe pas, ça n’existe pas !
Et pourquoi …et pourquoi pas ? »
Robert Desnos
Préparer le déconfinement, c’est réfléchir aussi à la suite politique. Nos Causes Communes vous propose d’ouvrir le débat sur un premier thème : l’Union nationale !
Dans notre histoire souvent évoquée, rarement entreprise ou menée à bien, sa perspective resurgit à chaque crise. Et cette fois encore…
La crise du Covid va changer la donne politique.
Tactiquement, parce que le discrédit qui frappe le pouvoir s’étant encore accru, celui-ci ne peut rester immobile.
Stratégiquement, parce que de nouveaux enjeux vont s’imposer qui tous ont en commun de souligner l’absolue nécessité pour le pays de retrouver les moyens de sa souveraineté.
Ces deux dimensions associées l’une à l’autre peuvent conduire à une tentative de constitution d’une forme d’Union, associant autour d’un projet commun de redressement national et de reconquête de l’indépendance stratégique tous ceux, de tous côtés de l’échiquier (hors extrême droite) qui s’inquiètent légitimement pour la cohésion du pays et la sécurité, au sens large, de sa population.
L’affaire demandera du doigté. Il n’est d’ailleurs pas sûr que notre classe politique affaiblie par ces dernières années compte assez de protagonistes de qualité pour que la pièce puisse être montée et jouée.
Mais le processus aurait des chances de parvenir à son terme, conviendrait-il de s’en désoler ou d’envisager d’y participer ?
Pour répondre à pareille question, un détour par l’état des gauches s’impose.
Si celles-ci avaient la moindre chance de pouvoir constituer et proposer d’ici 2022 une alternative crédible, une telle option serait de loin préférable et aurait l’avantage de la clarté et de la cohérence.
Mais force est de constater que l’on en est pas (encore ?) là.
Au contraire, les deux pôles possibles d’une alternance majoritaire (Europe Ecologie Les Verts et La France Insoumise) se disputent l’hégémonie d’un camp encore fantomatique. Quant au PS et aux petits mouvements qui s’en sont séparés, seul leur rassemblement dans un mouvement neuf serait de nature à leur rendre un début de dynamique. Soit pour faire la jonction entre les deux pôles antagonistes, soit pour faire pencher la balance en faveur de l’un d’eux. Mais le chemin semble encore long.
Aussi pourrait-on choisir de prendre cette affaire par un autre bout.
Si les partis de gauche sont marginalisés, certaines de leurs idées ont à la faveur de la crise du Covid-19 repris du poil de la bête.
Au point que quiconque se veut sincèrement sensible à l’intérêt général approuve désormais forcément l’idée qu’il faut cesser de réduire les moyens de l’Etat et d’abord de la santé publique et que la reconquête de notre autonomie stratégique est vitale (santé, alimentation, numérique). Le vieux concept de souveraineté, offert jusqu’à récemment à la risée des publics informés, devient soudainement, par la force de l’évidence le concept à la mode.
Ce double constat, celui de l’impuissance des partis de gauche à se donner les moyens de l’emporter, et d’un contexte favorable au progrès des idées qu’ils portent, n’amène-t-il pas à réfléchir ?
N’est-ce pas l’occasion de reprendre langue avec ceux qui parmi les élites dirigeantes, notamment dans la haute fonction publique, ont gardé le sens de l’Etat, le souci de l’intérêt général, la passion de l’indépendance nationale ?
N’est-ce pas l’occasion d’affaiblir ceux qui, ayant fait le choix d’un néolibéralisme devenu aujourd’hui un peu honteux, ont amené le pays au cœur des difficultés dans lesquelles il se trouve plongé ?
Le nouveau discours amorcé par Emmanuel Macron, et répété à satiété, ne dit pas autre chose aujourd’hui que ce que certains d’entre nous avancent depuis longtemps ! Mais avec quelle sincérité ?
C’est tout le problème de la confiance.
L’homme a si souvent changé, pour toujours au final revenir sur son axe libéral, qu’on peut sérieusement s’interroger.
Mais n’est-ce pas le programme d’action qui devrait faire ici figure de juge de paix ?
- Renoncer à la réforme des retraites comme à celle de l’assurance chômage, et rétablir l’impôt sur les grandes fortunes, pour commencer ;
- Construire une politique déterminée de reconquête des secteurs stratégiques (santé, alimentation, numérique, etc.), en retrouvant pour l’industrie l’esprit d’une logique de filières, pour suivre ;
- Associer investissement, transition écologique et préservation (dans les secteurs traditionnels) ou création (dans les secteurs porteurs de l’isolation thermique, etc.) d’emploi en contrepartie des aides publiques, dans un troisième temps ;
- Amorcer enfin une réorientation de nos objectifs européens en donnant un contenu concret à la notion, chère à Emmanuel Macron, de souveraineté européenne1, pour finir.
L’intérêt du pays comme de celui de ses concitoyens les plus modestes ne seraient-ils pas que tous ces points puissent devenir les nouveaux axes des politiques gouvernementales ? Et n’aurions-nous pas plus de chances de les faire advenir en participant de près ou de loin à cette Union nationale, si elle devait advenir et pour autant qu’elle s’appuie sur ce socle, qu’en la boycottant ?
La réponse ne s’impose pas d’elle-même mais la question doit être posée.
Celle de savoir ce que pourra donner le lent pourrissement de la situation auquel le statu quo risque de nous faire assister, aussi ! Que l’on ne se méprenne pas : je ne suggère pas de foncer tête baissée dans une manipulation médiatique dont le seul objet serait de remettre le locataire de l’Elysée en selle.
Mais j’invite à examiner ce moment avec attention en se défiant des préjugés et à s’interroger sur l’opportunité qu’il pourrait y avoir, ou pas, à la faveur de la violence de cette crise, d’infléchir l’orientation donnée au pays.
Bref, à réfléchir en responsabilité.
Gaëtan Gorce
(1) Qu’est-ce que cette « souveraineté européenne » dont parle Emmanuel Macron ?
Un objet non pas conceptuel mais politique que l’on pourrait définir comme : les objectifs de puissance que partagent des souverainetés distinctes mais qui renoncent à être concurrentes.
Le fait de restaurer des objectifs politiques, nécessairement définis et approuvés d’abord à l’échelle des États, de présence aux objectifs fonctionnels de l’Union Européenne actuelle, permet de surmonter ou dépasser l’apparente contradiction qu’il y aurait à défendre la complémentarité de deux notions a priori exclusives l’une de l’autre : souveraineté nationale et souveraineté européenne.
Dépassement qui se traduirait dans le mode de gouvernance proposé qui ne pourrait être que celui d’une coopération de gouvernements responsables devant leur opinion respective.
Elle présente en revanche le grave inconvénient de sembler opposer l’une à l’autre, ce dont risquent de se servir ceux dont s’est précisément l’ambition.
La remplacer par celle d’autonomie ou mieux d’indépendance, stratégique serait plus juste … mais moins impactant ! Et à la condition de ne pas sombrer, au moment de définir celle-ci, dans l’inventaire à la Prévert.
Elle doit avant tout passer par une affirmation : notre volonté, partagée , de garder la maîtrise de notre destin dans la mondialisation. Cela passe effectivement par la défense, le numérique, les secteurs industriels et agricoles vitaux, la monnaie.
Elle pourrait être enclenchée par une initiative ouverte à tous mais mise en œuvre unilatéralement si c’était la condition de son démarrage (exemple : un plan d’investissement massif dans les secteurs concernés).
Leave a Comment