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Les Notes de Lecture de “Nos Causes Communes” – La tyrannie de la visibilité (Philippe Guibert, VA Editions – février 2019)

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    Les Notes de Lecture de “Nos Causes Communes” – La tyrannie de la visibilité (Philippe Guibert, VA Editions – février 2019)

    Par noscausescommunes | Contributions libres | 0 commentaire | 20 février, 2020 | 0
    Nombreux sont les auteurs, philosophes, sociologues, politologues, qui s’efforcent, chacun à leur manière, de comprendre ce qui fait la particularité de nos sociétés. Le modèle issu de l’après-guerre a vécu. Est-on entré dans la post (Lyottard) ou l’hyper (Gauchet) modernité ? Le débat reste ouvert… mais tous s’accordent pour donner de la Condition Sociale Moderne, pour reprendre le titre de l’enquête passionnante de D. Martucelli, une définition voisine et paradoxale : celle d’une accentuation de l’autonomie individuelle faite d’opportunités décuplées mais d’un sentiment angoissant d’impuissance collective, d’une liberté de choix exponentielle mais d’un sentiment de perte de sens, d’un narcissisme triomphant associé à une conscience décuplée de l’interdépendance aux autres.
    Rédacteur en chef de la Revue Médium, initiée par Régis Debray, politologue rompu aussi à la pratique du pouvoir (il a dirigé le SIG et occupé des fonctions en Cabinet), Philippe GUIBERT y ajoute sa contribution en disséquant ce qu’il qualifie de « nouveau culte démocratique » : la visibilité !
    Poursuivant les recherches de son mentor, entamées voici 41 ans dans le Pouvoir intellectuel en France, il s’efforce de caractériser à son tour le nouveau type de société qui émerge d’une décennie de révolution numérique, elle-même précédée de la longue révolution audiovisuelle.
    Associant l’évolution des modes de pensée des sociétés à celle des modes de communication dominants (comme l’écrit au régime parlementaire, et l’audiovisuel au présidentialisme), il s’efforce dans ce petit ouvrage précis et percutant de décrire le paysage nouveau dessiné par l’émergence des réseaux sociaux. Mettre en relation différents phénomènes, dont chacun nous est sensible sans qu’on en voit nécessairement la cohérence, constitue ainsi le grand intérêt de son étude.
    Sa thèse ? L’irruption en temps réel de l’image et du son dans le quotidien de chacun d’entre nous aurait radicalement transformé notre façon « d’être ensemble », dont notre culture civique.
    « Le désir d’être vu », « le devoir de s’exprimer » comme « le besoin de voir » seraient en effet devenus irrépressibles, servis par une « réforme » numérique qui a fait d’une visibilité d’abord réservée aux puissants une opportunité offerte à (presque) tous (au point de ne plus parler pour les laissés pour compte d’injustice mais d’invisibilité…), ceci à l’instar de la « réforme » luthérienne substituant aux hiérarchies, monarchiques et ecclésiastiques, la simple parole et interprétation du croyant.
    Cette rupture technologique aurait contribué à gommer notre vieille culture catholique déjà mal en point pour lui substituer une sorte de néo-protestantisme, soit un sujet prétendant à l’autonomie et dialoguant directement avec le ciel sans s’embarrasser d’une Église.
    Après nous avoir rappelé que cette nouvelle religion se nourrissait de trois récits ou rites – ce qui nous arrive, ce qui pourrait m’arriver et ce qui m’arrive effectivement – perpétuellement réécrits au prisme des perceptions, identités, et affinités personnelles, l’auteur nous en livre avec entrain les caractéristiques.
    Ce néo-protestantisme vise d’abord au salut : celui du corps que l’on entretient et que l’on montre. Il a sa doctrine (les droits de l’individu) ; ses desservants (les réseaux sociaux et leurs influenceurs) ; ses liturgies (l’info continue) ; ses prêches (le témoignage qui, parce que formulé à la première personne, prétend à la seule vérité).
    Il fait de l’événement, de l’imprévu, sa matière première (pour autant qu’il soit visualisable) générant en retour un sentiment permanent d’instabilité et d’incertitude contre lequel chacun cherche à se prémunir en rejoignant la communauté numérique la plus proche des identités qu’il revendique.
    Le corps social enfin en est recomposé (un « rapport de visibilité » s’ajoutant aux rapports de production) entre visibles et invisibles, et entre visibles médiatiques (l’aristocratie dirigeante et le haut clergé journalistique) et visibles numériques (le tout-venant des groupes et des individus). Contre ces Dominants, des contre-sociétés se constituent, nées d’une réaction partagée à une annonce ou une déclaration, plus encore de la frustration associée à une visibilité refusée.
    On pense inévitablement à ce stade aux réflexions d’Axel Honneth sur les luttes pour la « reconnaissance »selon lesquelles le moteur de la conflictualité sociale devrait être recherché dans l’expérience pratique, et morale, du mépris plus que dans celle, matérielle, de la domination. Elle aurait donc un caractère intégrateur pour autant qu’elle débouche sur une réalisation (dont dans le cas qui nous occupe) la simple émergence sur la scène médiatique ne peut être cependant que l’exutoire ou le leurre.
    La première victime de cette religion nouvelle serait, d’après Philippe Guibert, la politique : condamnée à ce rejeton de la proximité qu’est la transparence totale (nouvelle doctrine du pouvoir spirituel que sont les médias devenus les superviseurs permanents du pouvoir temporel et capables d’enclencher par une « révélation » la mise en mouvement du pouvoir judiciaire) ; mais aussi à l’urgence (avec pour seule option d’en maîtriser non le cours mais l’interprétation) et enfin au populisme, seule formule adaptée à cette double exigence. Le populisme, soit la prétention d’un chef à parler au nom du peuple et le refus assumé des contre-pouvoirs, profite en effet à plein de la délégitimation des corps intermédiaires que produit la nouvelle donne médiatique et numérique fondée sur la contestation de toute autorité instituée.
    Chaque leader en fait même plus ou moins son ordinaire, avec d’autant plus d’appétit que l’évolution du système libéral, en encadrant partout la volonté politique au point de l’impuissanter via ses procédures (cf. Union Européenne) et en ne faisant plus de l’émancipation qu’un projet individuel, suscite désormais une violente contestation.
    Le problème, naturellement, est que l’impossibilité dans laquelle se trouvent les gouvernants de satisfaire à ces absolus d’exemplarité moralisatrice, ne peut plus accoucher que de l’antipolitisme comme de toutes les formes d’indignation morale, déstabilisant en cascade tout le système politique.
    Cette nouvelle donne encourage ainsi les guerres au nom du Bien (comme un exutoire au souvenir de la Shoah et à notre besoin de bonne conscience). De même favorise-t-elle le goût des hostilités au sein même du corps social (via la radicalisation des opinions et des oppositions). Elle dérègle enfin notre perception du réel, substituant l’émotionnel au rationnel, encourageant à rechercher la cause des dysfonctionnements dénoncés dans l’esprit forcément retors et manipulateur de la caste dirigeante. Bref, le complotisme a, nous dit Guibert, de beaux jours devant lui !
    Tout cela, convenons-en, ne laisse guère à espérer. Et l’auteur en semble si embarrassé qu’il finit par en appeler au final à un sursaut des consciences et au retour des Humanités… On doute que le lecteur se laisse convaincre que la dynamique qu’on vient de lui décrire avec tant d’acuité se laisse aussi facilement entraver.
    Ne faudrait-il pas plutôt s’attaquer aux logiques à l’œuvre ?
    D’abord pour rappeler que l’inégalité dans la détention du « capital de visibilité » ( Nathalie Heinich NRF Gallimard 2012) répond, certes sans y correspondre tout à fait, à celle qui gouverne le partage de la richesse comme du pouvoir. En répartissant mieux les seconds contribuera-t-on sans doute aussi à mieux distribuer le premier.
    Ensuite pour en appeler à une remise sous contrôle démocratique des supports technologiques de pratiques dévoyées : déontologie, sanctionnée, de l’information imposée à tous ses diffuseurs sans exception, remise en cause de l’anonymat sur les réseaux, démantèlement des monopoles, éducation au numérique…
    Pour refaire enfin de la politique : parce que cette nouvelle religion a tout du vieil opium du peuple. Faute de s’attaquer aux causes de son impuissance, à commencer par le fameux « gouvernement par les nombres » de Supiot, le politique en est réduit à seulement se produire sur des scènes médiatiques où éclate vite son imposture. En revenir à des objectifs pleinement humains, exprimant une certaine idée de notre civilisation ne pourrait que réveiller les consciences engourdies par les clics….
    Reste à ce programme une objection à laquelle il reste difficile de répondre : sommes nous face à un bouleversement tel que l’homme aurait renoncé à changer le monde pour ne plus songer qu’à lui-même ou s’agit-il d’un dérèglement passager du collectif, d’un simple problème d’ajustement avant qu’un nouvel ordre émerge ?
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