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Les notes de lecture de “Nos Causes Communes” – Laïcité, comment écrire ton nom ?

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    Les notes de lecture de “Nos Causes Communes” – Laïcité, comment écrire ton nom ?

    Par noscausescommunes | Contributions libres, Nos Causes Communes | 0 commentaire | 25 novembre, 2019 | 0

    Compte-rendu de lectures :

    • Pierre-Jean Luizard, La République et l’Islam (Tallandier 2019) ;
    • Jean-Francois Colosimo, La religion française (Le Cerf 2019) ;
    • Laurent Bouvet, La nouvelle question laïque (Flammarion 2019).

    Pourquoi la gauche refuse-t-elle de regarder la religion en face ?

    Parce que celle-ci, selon elle, ne peut-être qu’une survivance, une sorte de superstition condamnée par les lois de l’histoire, qu’il serait donc impossible de prendre au sérieux ? Ou parce que sa principale manifestation contemporaine – la reviviscence de l’Islam – dès lors qu’elle appartient à la culture de nos ex-colonies et des nouveaux prolétaires que sont les immigrés, serait de ce fait rendue intouchable ?

    De là viendrait en tout cas ce que Jean Birnbaum (Un silence religieux, Le Seuil 2016) dénonce comme un aveuglement : l’affirmation mille fois réitérée par ses dirigeants depuis Charlie que « l’Islam n’aurait rien à voir avec le terrorisme », même si celui-ci s’en réclame ouvertement ! Occultant ainsi le fait que la foi constitue bien le moteur politique de comportements dont l’explication ne peut être cherchée exclusivement du côté des facteurs économiques et sociaux. Au contraire ceux-ci, comme lors de la révolution iranienne, s’effacent derrière un autre type de revendication : la régénération intérieure, la transformation de soi. « L’objectif n’est pas alors de changer le monde mais d’en finir avec lui ».

    La vérité, nous dit l’auteur, c’est que l’Islam est en guerre interne entre modernisateurs et fondamentalistes et que le terrorisme n’en est qu’une des manifestations. De sorte que refuser de dénoncer l’islamisme reviendrait, selon Jean Birnbaum, à poignarder dans le dos les musulmans réformateurs. Et d’inviter la gauche à regarder l’islamisme en face !

    Mais de quoi parle-t-on au juste ? Et qu’est-ce donc que l’Islamisme djihadiste et quels liens entretient-il avec le salafisme ou encore l’Islam politique ? Vont-ils de pair et doivent-ils être combattus ensemble ? Et par les mêmes moyens ? Une clarification s’imposerait, qui se fait attendre.

    Les « progrès » du salafisme sont certes le sujet étudié depuis de nombreuses années par Gilles Kepel et Bernard Rougier (Les territoires conquis de l’islamisme, à paraître en janvier 2020) qui documentent l’enracinement de ses réseaux en particulier dans certains quartiers marqués par une absence de mixité culturelle et sociale. Gilles Kepel (Terreur dans l’Hexagone, Gallimard, 2015) fait précisément remarquer la transformation qui va affecter l’Islam en France entre 2005 (crise des banlieues) et 2015 (attentats) et qui verra la main passer des anciennes aux nouvelles générations, des Frères Musulmans aux salafistes, d’Al Qaida aux tenants du terrorisme à l’intérieur des États européens.

    Tous deux dénoncent la volonté de ces groupes financés depuis le Moyen-Orient d’imposer des schémas de pensée en rupture avec la République et cherchant à construire de véritables enclaves gouvernés par leur lecture de l’Islam. Mais quel rapport avec le terrorisme ? Et quelle réponse y apporter ? Et comment empêcher que les Républicains ne se déchirent sur la manière d’y remédier ? Nécessaire pour les uns, l’interdiction du voile, par exemple, ne risque-t-elle pas, selon les autres, de conforter les islamistes habiles à présenter la laïcité comme une machine de guerre anti-musulmans ? Ne conviendrait-il pas dès lors de moduler cette réponse selon les lieux et les sources de tension ? Et la meilleure réaction ne serait-elle pas un retour massif de la République dans ces quartiers (service public, emploi, etc.) ?

    Comprendre les rapports entre La République et l’Islam (Tallandier 2019) est justement l’objet du livre publié au début de cette année par l’orientaliste chevronné qu’est Pierre-Jean Luizard.

    Celui-ci cherche d’abord à identifier l’impact de la colonisation sur les sociétés arabes qui s’est traduite dans un premier temps au XIXème siècle par une reviviscence de l’Islam (via le courant réformateur inspiré du soufisme), puis dans un second par un durcissement fait d’un retour à la stricte lettre du Coran (via le salafisme : de « salaf », pieux ancêtres, à l’origine quiétiste) face à la disparition du Califat et au mouvement de laïcisation des États (Turquie, Iran) et au moins partielle des sociétés enclenché au lendemain de la Première Guerre mondiale.

    Après celle-ci, les défaites infligés aux tentatives d’insurrection portées par l’espoir d’unification politique de la « nation arabe » conduisirent en réaction à l’émergence d’un nouveau courant (né en Égypte en 1928), celui des Frères Musulmans, déterminé à passer par la politique pour réussir là où la violence avait échoué ; courant concurrencé depuis le déclenchement de la longue guerre d’Afghanistan (1979) par un salafisme troquant la sagesse pour la terreur des armes au nom de la souveraineté exclusive de Dieu.

    La sécularisation se sera donc faite en terres musulmanes (et à la différence de l’Europe) par la religion mobilisée contre une laïcité identifiée aux régimes autoritaires ou aux puissances coloniales, faisant peu à peu de l’Islam l’idéologie dominante du combat anti-colonial.

    Luizard nous invite ensuite à remonter le temps pour comprendre comment on en était arrivé là. Rappelant d’abord que l’expédition d’Egypte fut un échec accompagné d’une répression féroce qui fit des dizaines de milliers morts, l’auteur en vient ensuite à évoquer les conditions qui firent des Algériens des Français sans être des citoyens. Napoléon III par un senatus consulte de 1865 leur consentit en effet la nationalité en conditionnant cependant leur accès à la citoyenneté à l’abandon du statut personnel, amenant les autochtones à assimiler du coup la laïcisation à la domination exercée par la puissance coloniale en lieu et place de l’association voulue par l’empereur et Urbain, son conseiller saint-simonien, qui parlaient, eux, de « royaume arabe ». Cette confusion fut renforcée cinq ans plus tard par le Décret Crémieux qui attribuait d’autorité la citoyenneté française à une communauté pourtant définie sur une base religieuse (les « israélites ») avant de faire de même pour les Européens étrangers, laissant du coup seuls sur la touche plus de 2 millions d’Algériens caractérisés également par leur seule religion musulmane. Celle-ci, érigée en obstacle juridique à l’intégration, allait – par un renversement faisant d’un obstacle une revendication – symboliser la lutte contre la colonisation qui refusait d’accorder les mêmes droits à tous du seul fait de leur appartenance à l’Islam. En retour, les Républicains, qui furent à l’origine d’une formidable expansion coloniale, virent dans cet attachement religieux un signe d’arriération leur permettant de justifier… par la laïcité… l’exclusion de toute une confession religieuse du droit commun (le code de l’indigénat fut voté en 1881 en même temps que les grandes lois sur l’école, la liberté de la presse, etc.).

    Cette ambiguïté se renouvela au Levant où la République pénétra dans l’Empire ottoman sous couvert de protection des catholiques et des minorités chrétiennes, accompagnée dans sa démarche par l’installation… des Congrégations catholiques poussées à l’exil par la loi de 1901.

    La loi de 1905 approfondit enfin la contradiction. Un décret de 1907 en limita l’application en Algérie à la création d’associations cultuelles placées sous le contrôle de l’Etat qui agréait et rémunérait les imams, conduisant les musulmans réformistes à revendiquer par un nouveau paradoxe la pleine mise en œuvre de la séparation pour retrouver le contrôle de leur culte. Cette situation contribua à son tour à faire de l’Islam un outil de résistance à la colonisation…

    Enfin, au Levant, la France, trahissant avec la Grande Bretagne, la promesse faite à Hussein, Chérif de La Mecque, de l’établissement d’un royaume arabe, s’adjugea un mandat de la Société des Nations qui l’amena pour mieux contrôler la région à jouer les minorités religieuses contre la majorité sunnite et à substituer aux solidarités tribales une balkanisation des statuts conférés aux Druzes, Allaouites, etc. tout en séparant le Liban du reste de la Syrie.

    Déconsidérée par le double langage de la République, la laïcité allait l’être aussi par l’autoritarisme des régimes qui cherchèrent à l’imposer à marche forcée en Turquie et en Perse, sous l’influence de la franc-maçonnerie française, puis en Égypte, quoique de manière plus ambiguë, et en Tunisie.

    Seules deux oppositions, en plus de la communiste, parvinrent à se maintenir : les Frères musulmans, partisans du combat politique et de l’affirmation d’un état pan-islamique soumis à un Coran adapté à la modernité, et les salafistes, poussés les uns et les autres par la répression qui s’abattaient sur eux à se radicaliser à partir des années 1980 et à choisir le djihâd, courant que l’échec répété des Islamistes au pouvoir en Tunisie et en Égypte, sans évoquer l’Algérie de la guerre civile, a contribué à renforcer.

    Ce retour sur l’histoire témoigne d’un héritage dont le moins qu’on puisse penser est qu’il n’aide guère à favoriser l’intégration sereine de l’Islam dans la République !

    À cet égard, une reprise en main de l’Islam de France ne pourrait que rappeler une histoire révolue et échouerait certainement sous l’effet de la mondialisation qui ne permet plus la clôture idéologique. Sans compter la résistance des mieux disposés, peu enclins, selon Pierre-Jean Luizard, à jouer le rôle de « harkis de l’Islam ». L’erreur, avertit-il en conclusion, serait de croire que l’Islam dominant renverrait à une vision archaïque alors qu’il est au contraire le résultat d’une sécularisation qui lui donne une dimension moderne, mais sans rapport avec une laïcité associée à la domination coloniale.

    On mesure un peu plus la difficulté si l’on considère que « la laïcité est le dernier état de la religion française », comme l’écrit dès l’ouverture de son dernier livre Jean-François Colosimo. À la condition de ne pas se tromper sur le sens du mot »religion ».

    Au sens romain, nous rappelle-t-il, la religion n’a rien à voir avec la foi privée, mais renvoie au culte rendu à la Cité, au respect solennel dû à l’ordre social et politique qu’elle incarne et que la confusion du divin et du politique dans la personne de l’Empereur (et dans la loi qu’il édicte) garantit. Le christianisme va heurter de plein fouet cette double conception en refusant la divinité à César et en offrant la fraternité à tous au mépris de la hiérarchie sociale établie.

    La monarchie française saura très tôt tirer partie de cette distinction face au Pape (dont la réforme grégorienne a centralisé le pouvoir) en s’adjugeant dans son domaine, le profane, une pleine souveraineté dupliquée traits pour traits de la pontificale et en réduisant (au XVIème siècle, après deux siècles de luttes) le pouvoir de Rome sur l’Eglise de France.

    En transférant au juge civil les affaires religieuses et en donnant au Roi le pouvoir de proposer puis de confirmer les évêques, le compromis obtenu répondait à une exigence constante : assurer l’indépendance du royaume à l’égard des autres pouvoirs tant temporels que spirituel. Ce qui expliquera sa réticence à la Réforme, non parce que celle-ci prétendait à nouveau confondre les deux pouvoirs, mais par sa volonté de soumettre de nouveau le temporel au spirituel. Cette bataille pour l’existence durable de l’Etat répondait au sentiment angoissant, perçu par tous les rois, de son extrême fragilité, de la conscience de pouvoir à tout moment disparaître. Si l’Etat mérite d’être incarné c’est parce qu’il est mortel, et sa faiblesse comme sa souffrance sont celles de la nation.

    La religion française ne sera précisément rien d’autre, nous dit Jean-François Colosimo, qu’une manière singulière d’articuler les rapports entre les deux ordres, les deux pouvoirs, temporels et spirituels.

    Ce qu’un détour par l’histoire permet d’illustrer.

    Si Clovis choisit de recevoir sa couronne de l’Eglise, c’est parce que celle-ci constituait alors le seul appareil administratif disponible pour constituer un État véritable. L’Eglise, via différents conciles présidés par le roi, en profitera pour établir le rapport à son avantage : subordination à Rome, soustraction à la juridiction civile et à l’impôt, etc. faisant de l’Etat son bras séculier. Chargé de sanctionner les violations de la loi religieuse jugées par l’Eglise comme les violations de la loi civile, placé sous l’autorité du pontife qui exige de lui qu’il pourchasse l’hérésie extérieure ET intérieure au risque du désordre, le roi capétien va peu à peu au nom du bien commun prendre son autonomie. Ainsi fera Philippe Le Bel qui s’appuiera sur les Etats Généraux de 1302 tenus à Notre-Dame pour récuser toute suprématie du pape sur le roi dans les affaires du royaume. En refusant toute ingérence étrangère, religieuse ou politique, il établit, la reprenant au Pape qui la brandissait, sa pleine souveraineté. Le Parlement puis l’Université n’auront de cesse d’appuyer la monarchie dans cette tâche à laquelle l’Eglise de France s’associera bientôt, tous inventant au début du XVème siècle le « gallicanisme » ou version synodale de l’Eglise, fondant ainsi « la religion française », nationalisation et émancipation à la fois de l’imperium religieux. Le roi, dans cette conception, ne devient pas le chef de l’Eglise de France mais le gardien de ses droits et libertés, ce que traduira en 1516 (un an avant la publication à Wittemberg des 95 thèses de Martin Luther) le premier concordat, victoire qui l’écartera plus tard de la Réforme, dans la mesure où l’exigence portée par celle-ci aura déjà été satisfaite. Les guerres de religion paradoxalement conforteront ce processus : la justice devient entièrement civile (elle est au sens propre laïcisée) et l’hérésie jugée désormais comme un trouble à l’ordre public.

    La monarchie s’oppose alors d’autant plus au protestantisme que celui-ci encourage la création de conseils locaux concurrents de l’autorité publique, brûle les icônes – alors que le pouvoir royal s’est attribuée le bénéfice de l’incarnation – et exige la fusion de l’Etat et de la foi, ce à quoi la religion française ne consent que pour autant que dans le couple la primauté soit au politique. Refusant tout nouvel “empire du Bien”, qui plus est antagoniste de l’autre, la religion française rebâtira l’idée de République, d’un État en surplomb, garant de l’unité civile. Ses théoriciens (Bodin, L’Hospital)ne sont pas des relativistes, soucieux de tolérance, mais des absolutistes ; ils ne plaident pas pour la démocratie mais pour l’autorité de l’Etat. Il ne s’agit pas de négocier un quelconque équilibre contractuel, transposé d’une économie de marché en croissance, mais plutôt d’affirmer un pouvoir transcendant les partis et ce faisant vrai garant des libertés pour tous. Un pouvoir « absolu » du latin absolutus, libre, indépendant…

    À la superposition de la frontière politique et religieuse à laquelle aboutit la guerre européenne, l’édit de Nantes substitue une hiérarchie certes, mais d’abord une cohabitation, des croyances. La politique de Richelieu, qui fera confirmer l’édit de Nantes par Louis XIII, combat la faction protestante, pour ce qu’elle représente de dangereux pour l’Etat, mais respecte et réaffirme la liberté de conscience. Et s’il cherchera à affermir le catholicisme national dans sa fonction unitaire, il n’aura de cesse d’affaiblir le catholicisme européen dans son ambition hégémonique. Et c’est de front que Louis XIV à son tour mènera la lutte contre le Pape (avec l’adoption en 1682 par l’Assemblée du clergé de France de la Déclaration des Quatre articles, expression d’un gallicanisme de combat) et la révocation de l’édit de Nantes (1685), pourchassant aussi bien le parti dévot que les Jansénistes. Accomplissant en parallèle un long travail de laïcisation du droit (état civil, mariage, etc.), qui restera cependant exclusif des autres cultes jusqu’à l’édit de Versailles dit “de Tolérance” (à l’égard des protestants) en 1787.

    L’unité des Français est vue ainsi comme une religion qui surpasse leurs religions, conception que reprendra la Révolution qui remplacera seulement Dieu par Nation et Roi par Peuple, sans pour autant trop savoir comment s’y pendre.

    Ainsi nationalisera-t-elle d’abord le culte catholique avant d’inventer le sien propre, auquel Napoléon substituera finalement un Concordat si contraignant qu’il convertira l’Eglise de France à un ultramontanisme qui ne sera pas pour rien dans la guerre que lui livrera la République. Celle-ci, non sans excès, tant qu’elle se vivra elle-même comme un culte, finira par fixer le cadre de l’apaisement. Non par un choix de neutralité mais par l’affirmation d’une volonté politique imposant sa conception du bien commun par dessus les confessions. Confirmant par là que la religion française n’est en réalité pas autre chose que la revendication par le politique de sa souveraineté, c’est-à-dire de son indépendance à l’égard de quiconque prétendrait lui opposer une autre que la sienne !

    Ce détour par l’Histoire est riche d’enseignement et nous aide à comprendre le sens profond de la laïcité. En matière spirituelle, l’intervention de l’Etat n’est requise que si et seulement si l’unité/cohésion du pays est menacée dans son for par une dissidence religieuse !

    Peut-on assimiler le voile à pareille menace ? et constitue-t-il une revendication individuelle, en quoi il ne saurait inquiéter, ou politique, en quoi il devrait être combattu ? Là encore, il conviendrait de s’appuyer plus sur la connaissance sociale que sur le préjugé idéologique ! Or, la plupart des sociologues n’y voient-ils pas d’abord la manifestation personnelle d’un attachement à une culture d’origine, voire de piété, indépendante le plus souvent de toute volonté de rupture avec les valeurs dominantes de la société française ?

    Laurent Bouvet ne voit pas les choses ainsi, stigmatisant dans La nouvelle question laïque l’abandon par la gauche de ses valeurs universelles au profit d’une lutte pour les minorités au moment même où la demande de reconnaissance s’affirme à l’intérieur de la société française, contribuant à placer notre héritage laïque sur la sellette.

    Si le procès mérite d’être instruit, au regard des nombreux dérapages d’organisations jusqu’alors attachées à l’universalisme, n’est-ce pas refuser de voir le processus structurel d’individualisation à l’œuvre que d’imputer à la faiblesse de la gauche la seule responsabilité de la montée de revendications différentialistes qui semblent être le cœur de la société des individus ?

    Laurent Bouvet distingue deux visions de la laïcité : l’une, libérale au sens contemporain du terme, qui plaide pour la tolérance dans une société devenue multiculturelle ; l’autre classiquement républicaine.

    La première ne peut se présenter comme l’héritière des rédacteurs de la loi de 1905 qu’au prix d’une double opération :

    • en réduisant tout d’abord la liberté de conscience à la liberté religieuse, alors qu’elle est le droit pour chacun non seulement de croire ou non mais de ne jamais se voir imposer dans le champ public une opinion quelconque sur la religion ;
    • en assimilant ensuite la neutralité requise de l’Etat à une exigence de passivité, alors que c’est au citoyen et non à la personne privée qu’elle s’adresse et qu’elle a pour objet de garantir son indépendance.

    Dans l’approche libérale, le respect des croyances se mue ainsi en reconnaissance des cultes. Et la neutralité de l’Etat en une forme d’abstention. Mais si cette abstention est certes nécessaire s’agissant de l’interprétation ou de l’exercice d’un culte, elle n’est pas souhaitable lorsque celui-ci met en cause la conception que l’on se fait du commun, des valeurs partagées.

    C’est ainsi, écrit-il, qu’il faut concevoir le débat sur le voile. L’Etat doit s’assurer de la prévalence des principes qui le fondent !

    Le problème dans l’approche de Laurent Bouvet est qu’il oublie d’y mettre deux bémols : la nécessité d’intégrer le risque de stigmatisation, qu’il néglige, et le besoin de fixer le seuil à partir duquel une libre pratique religieuse devient une menace pour le bien commun. Sauf à interdire toutes ses manifestations publiques de la foi, ce qui serait à juste titre considéré comme une régression. Mais ce seuil, dont Laurent Bouvet ne dit rien, comment le déterminer ? Et l’est-il une fois pour toutes ou selon les époques voire les circonstances ?

    Comme le rappelle très bien Jean Bauberot (Laïcité, entre raison et passion, Le Seuil, 2004) s’agit-il d’imposer une forme de religion civile ou de veiller seulement à limiter la liberté de pensée par le respect de la liberté de conscience ?

    Renouvier, nous rappelle-t-il, devait, à la fin du XIXème siècle, proposer sa réponse : la République, proclamait-il, n’est pas seulement un régime politique. Elle a une autorité spirituelle (sauf à abandonner aux religions la question des fins) : le bloc de principes rationnels, moraux, politiques sur lesquels elle s’est fondée et qu’elle doit impérativement enseigner. Ce bloc, il est possible de le résumer en : l’articulation de la liberté individuelle et de la souveraineté de tous. Soit la politique comme moyen d’émancipation (Marcel Gauchet, La religion dans la démocratie, 1999) c’est-à-dire : la citoyenneté !

    En s’imposant, argumente Marcel Gauchet venu à notre secours, la revendication d’autonomie s’est sécularisée à son tour renvoyant la question des fins à l’individu singulier et à son identité. Le choix de cette identité a du coup tendance à être d’autant plus ferme et intransigeant qu’il est personnel et effectué dans un monde où il sert non pas à s’intégrer mais à se distinguer. Il s’accompagnera ainsi naturellement de demandes de reconnaissance que le politique aura intérêt à satisfaire en raison de leur multiplicité qui le replace automatiquement au centre. Son rôle ne serait, dès lors, plus de mettre une finalité collective en surplomb des autres mais de faire, par la tolérance qu’il affiche, cohabiter celles-ci. Tolérance qui deviendrait en quelque sorte sa marque, sa philosophie. Il en résulterait d’abord un retournement de la croyance : alors que l’Homme était jusqu’alors mis par la religion au service de l’au-delà, c’est le contraire qui est vrai désormais.

    Il en résulte ensuite une transformation de la politique réduite à une fonction d’écoute, de médiation et d’équilibre cependant bien fragile. Loin de se réjouir de cet état de fait, Marcel Gauchet nous invite à l’intégrer dans l’analyse sauf à s’en tenir à des rhétoriques à contre-temps terriblement improductives.

    La République serait ainsi moins victime d’un complot ou d’une offensive en règle que privée de son autorité morale. Ce qu’ont compris les « identitaires » qui prétendent la rétablir au nom d’une prétendue pureté culturelle. Ce que peinent à comprendre les gauches invitées à refonder cette autorité sur la démocratie en assumant et en mettant en débat une conception claire du Bien commun.

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