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Pour une politique républicaine de l’immigration – contribution au débat

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    Pour une politique républicaine de l’immigration – contribution au débat

    Par noscausescommunes | Contributions libres | 0 commentaire | 8 octobre, 2019 | 0

    1) Redéfinir la problématique

    La question centrale dont il faut partir et dont découle toutes les autres n’est pas celle de l’immigration.

    Elle est celle de la communauté nationale, définie comme une communauté de destin forgée par notre géographie et notre histoire autour de principes politiques partagés et à laquelle sont associés toutes celles et tous ceux qui vivent ou viennent s’installer dans notre pays : la France a été et reste un projet !

    Et c’est cette ambition de construire le futur ensemble, en essayant d’en maîtriser démocratiquement le cours, et de le faire sur des bases solides posées par deux siècles de luttes et débats politiques, qui caractérise la nation républicaine. Il ne s’agit donc pas de la référer à une prétendue identité figée et étanche mais d’affirmer :

    • Une singularité historique : parce que la France ne ressemble à aucune autre nation (aucune nation ne ressemblant d’ailleurs à aucune une autre). Elle possède ses traits distinctifs dessinés au fil du temps et de la diversité des générations comme des origines.
    • Une volonté politique : la France républicaine est le produit d’un acte volontaire et bi-séculaire. Un contrat national a été passé entre les citoyens (et constamment renouvelé depuis lors) qui s’accordent pour débattre ensemble de leurs différends, dans le cadre et selon les règles qu’ils se sont donnés (à savoir la devise républicaine complétée de la laïcité ).

    Ce qui nous intéresse, lorsque nous réfléchissons à ces questions, ce n’est donc pas ce qui différencie les habitants de notre Pays entre eux mais ce qui les réunit. Ce qui doit nous mobiliser ce n’est donc pas de les séparer mais d’en faire les agents actifs d’un projet collectif.

    2) Fixer l’objectif

    Le seul vrai sujet est par conséquent l’intégration de tous ceux qui ont partie liée avec la communauté nationale quel que soit le destin qui les en a fait membre.

    Ce qui suppose à la fois d’entretenir les termes du contrat (en en faisant notamment une dimension de l’enseignement de l’histoire dont la place devrait être renforcée, mais aussi en garantissant au vote toute sa portée souveraine) et de garantir que chacun y ait accès (notamment en intégrant son histoire dans notre histoire commune, qu’il vienne de Corrèze, d’outre-mer ou d’outre-Méditerranée ; et naturellement en veillant à la vitalité des dispositifs sociaux de solidarité).

    C’est donc moins, dans le cas qui nous occupe, d’une politique migratoire, oscillant entre accueil et ouverture selon les motifs d’arrivée, ou d’une politique identitaire entretenant les peurs et les séparations que nous avons besoin que d’UNE POLITIQUE RÉPUBLICAINE DE L’IMMIGRATION globale, fondée sur deux axes intangibles : respecter les personnes ; respecter les lois !

    C’est cette politique que s’efforcera d’expliciter le présent papier, inspirant nos actions dans tous les domaines relatifs à ces questions, y compris dans nos relations avec nos partenaires extérieurs.

    3) Rappeler les fondements

    Notre République repose sur des principes collectivement discutés et démocratiquement établis, validés par le consensus dont ils font l’objet sur la durée.

    En la matière, quels sont-ils ?

    • Le respect de la souveraineté politique de la nation : celle-ci a des frontières. Il n’existe donc pas de droit inconditionnel à l’entrée sur le territoire national qui reste soumise à des règles précises, qu’elles soient d’origine interne ou externe.
    • Le respect des engagements internationaux auxquels nous avons souscrits, soit à travers l’Union Européenne (Schengen), soit encore via des accords bilatéraux (Accords de Gestion Concertée cf. Annexe 1) soit plus largement via les grandes Conventions protégeant les droits de l’Homme, en matière d’asile par exemple, qui nous créent autant d’obligations à l’égard de certaines catégories de migrants (réfugiés).
    • Le respect de nos principes de valeur constitutionnelle comme des droits qui en découlent et qui s’imposent à l’Etat (le droit au regroupement familial) mais aussi aux ressortissants étrangers admis à résider en France (laïcité, égalité des sexes, etc.).

    Le respect de ces principes a conduit la France à « prendre sa part de la misère du monde » malgré les reproches qui lui sont adressés.

    Ainsi accueille-t-elle en moyenne 250.000 personnes supplémentaires par an (en augmentation de 50% sur 10 ans) et n’a mis que peu de restrictions au regroupement familial (en comparaison des autres États de l’Union Européenne) tout en se montrant plutôt généreuse en matière d’asile (Nb : La pratique laisse en revanche plus à désirer s’agissant de la confusion qui s’est installée entre sécurité et immigration, aboutissant trop souvent à appliquer aux personnes en attente de statuts des traitements choquants comme à Paris la dispersion plutôt que la prise en charge des demandeurs d’asile).

    4) Comprendre le contexte européen

    Le paradoxe est que là encore le problème n’est pas celui que l’on croit : l’Europe, et à un degré beaucoup plus faible la France, est moins confrontée à un problème d’immigration qu’à un problème démographique.

    • Certes l’Union Européenne a bien dû faire face en 2015-16 à une crise migratoire d’une ampleur exceptionnelle. Mais celle-ci est désormais passée et n’annonce en aucun cas l’avenir.
    • Une pression sans précédent s’est effectivement exercée sur les frontières de l’Union au milieu de la décennie. Les entrées irrégulières repérées en Europe se sont ainsi élevées à plus de deux millions en 2015-2016. Entre 2014 et 2017, l’Union Européenne a, selon Eurostat, reçu quatre millions de nouveaux demandeurs d’asile soit environ 4 fois plus par an qu’au cours des années précédentes.
    • Leur niveau en 2018 (580.000) a cependant retrouvé, selon les mêmes sources, celui d’avant la crise. Quant aux entrées irrégulières, si elles ont concerné 1,8 millions de personnes en 2015, elles n’étaient plus que 170.000 en 2017 et l’on n’a dépassé qu’à peine les 110.000 en 2018, soit moins qu’avant le déclenchement de la crise.

    Le solde migratoire global (s’agissant des ressortissants hors Union Européenne) avoisine ainsi à nouveau environ 1 million d’entrées nettes par an.

    Cette crise est-elle annonciatrice d’une augmentation forte de la pression migratoire aux frontières européennes ? A ce stade rien ne le laisse craindre, sauf nouvel afflux provoqué par des événements politiques ou économiques exceptionnels (en Algérie par exemple). Ainsi le doublement de la population africaine ne pourra pas se traduire par un doublement de l’immigration puisque 90% de celle-ci est et demeure régionale notamment faute de ressources pour viser des régions du Nord. Et même si cette hypothèse devait se réaliser, il suffit de rapporter la population d’origine sub-saharienne à la population totale de l’Union Européenne (1%) pour prendre l’exacte mesure des choses. De même, si les futures migrations climatiques sont susceptibles de générer selon les prévisions plus de 100 millions de départ, le niveau de revenus limité des populations concernées comme leur situation géographique font que leur mobilité restera là encore probablement limitée aux zones proches de leur région d’origine.

    Rappelons enfin que le nombre de résidents étrangers dans l’Union Européenne issus d’un pays tiers dépasse à peine en moyenne les 4,4% de la population totale de l’Union !

    Le vrai problème démographique européen est par conséquent ailleurs et devrait théoriquement conduire à une révision des dispositifs migratoires existants. Le problème tient à la stagnation de la population de l’Union depuis 30 ans, dessinant 3 types de situations :

    1. les pays dont les deux soldes (naturel et migratoire) sont positifs (France, Grande Bretagne, Benelux, Pays scandinaves … et Suisse) ;
    2. les pays, dont le solde naturel négatif ou nul, est (ou a été) sur-compensé par le solde migratoire (Allemagne mais aussi Italie, Espagne et Portugal) ;
    3. les pays d’Europe centrale et orientale dont les deux soldes sont lourdement négatifs menaçant l’équilibre de leur système de protection sociale et réduisant leur croissance potentielle.

    Au total, l’Europe connaît un solde naturel négatif depuis 3 années consécutives (-200.000 par an) corrigé par une immigration nette de +1,1 million par an. A l’horizon 2050, sa population pourrait stagner autour de 500 millions d’habitants, entraînant une diminution de 49 millions des personnes en âge de travailler (dans la tranche des 20-64 ans) dont 11 millions pour l’Allemagne. L’Espagne et l’Italie devraient aussi perdre de 7 à 8 millions d’actifs potentiels.

    Dans ce contexte, la France pourrait presque se réjouir de bientôt quasiment rattraper la population de l’Allemagne – ce qu’en réalité le Royaume-Uni devrait réaliser avant nous – si nos voisins n’étaient pas aussi nos principaux débouchés : 87% de ce qui est produit en France est consommé en Europe dont 70% pour la France, et 17% pour les exportations (56% des 30% exportés dans le monde).

    L’Union Européenne ne peut donc échapper à une réflexion sur sa politique migratoire, et ceci d’autant plus que ses outils sont manifestement inadaptés.

    La crise de 2015-2016, en prenant très vite une tournure politique et en mettant l’unité de l’Union en péril, a ainsi montré la fragilité des dispositifs européens, de Schengen à Dublin – dont chacun a cherché à s’affranchir – et, par voie de conséquence, la nécessité de les réformer…

    5) Analyser la situation migratoire en France

    La France n’est pas le pays de l’Union Européenne dans lequel ces problèmes sont numériquement les plus aigus. Ils le sont en revanche politiquement.

    L’immigration régulière, qui reste limitée, y augmente continûment depuis la fin des années 90 surtout en matière d’asile.

    De 2007 à 2017, elle a progressé de … 43%, passant de 171.907 en 2007, à 193.120 en 2012 et 247.436 en 2017 (chiffres du ministère de l’Intérieur).

    Cette « pression » emprunte, notons-le, tous les canaux : si l’immigration familiale reste stable (90.000), l’immigration de travail (27.467 +170% cf. annexe 2), les étudiants (80.000 +100%), et naturellement l’humanitaire (36.429 admis au titre de l’asile ou de la protection complémentaire, +110%) augmentent sensiblement.

    Notons également que la problématique de l’asile se pose en France en ce moment d’une façon originale par rapport à nos partenaires puisque la demande y augmente (64.000 en 2014 ; près de 120.000 en 2018) alors qu’elle diminue dans le reste de l’Union Européenne. En outre, les principaux pays d’origine de ces demandes ne sont pas la Syrie ou l’Irak, mais l’Afghanistan (10.221), l’Albanie (8.261 demandes), la Géorgie (6.717), la Guinée (6.621) et la Côte-d’Ivoire (5.256). Et si les demandes albanaises (-28% par rapport à 2017) et haïtiennes (-59%) ont amorcé une décrue, la demande géorgienne a progressé (+256%) comme la demande afghane (+55%). Quant à la demande d’asile des pays de l’Afrique de l’Ouest, elle a en 2018 poursuivi sa progression (Guinée et Côte-d’Ivoire, soit +61% et +45%).

    L’explication de cette spécificité française tient en particulier aux dysfonctionnements des procédures européennes : 40% de ces demandes sont le fait de personnes passées (et souvent déboutées) par un autre pays (principalement l’Allemagne) et encouragées à renouveler ailleurs leur demande par les divergences des taux de protection selon les nationalités entre les États sollicités (ex.: 90% pour les Afghans en France contre 50% en moyenne UE). Les accords de Dublin donnent en effet 18 mois aux États de second accueil pour renvoyer ces migrants faute de quoi ceux-ci peuvent déposer une nouvelle demande, ce dont ils ne se privent pas provoquant l’engorgement des centres d’hébergement.

    Il est pour autant impossible d’ignorer les raisons plus profondes de cet afflux qui tiennent aux caractéristiques des sociétés d’origine (les rapports entre confessions, la situation faite aux femmes en particulier les mariages forcés ou l’excision, les guerres) sur lesquelles il sera indispensable d’agir.

    Enfin n’omettons pas, pour être complet, les flux de clandestins dont le « stock » (estimé, à partir du nombre de bénéficiaires de l’aide médicale, à plus de 300.000) est augmenté chaque année du solde des déboutés du droit d’asile (65%) qui parviennent à rester sur le territoire (environ 60.000) et diminué des départs forcés (17.000 par an sur 90.000 prononcés) ou non (à savoir 8.000 départs spontanés +4.500 départs aidés). On arrive donc à une estimation du nombre de nouvelles installations en France d’immigrés hors Union Européenne d’environ 300.000 personnes par an soit 0,5 % de la population totale !

    Les Français sont en revanche très sensibles à la question et manifestent depuis longtemps une hostilité réelle à l’accueil de nouveaux migrants.

    L’enquête exclusive réalisée fin 2018 par l’Ifop pour Le Journal du Dimanche, l’AJC et la Fondation Jean-Jaurès en constitue l’une des multiples illustrations.

    Pour une majorité de Français, les enjeux prioritaires identifiés par cette étude concernent en effet la lutte contre l’immigration clandestine (53%) et le coût de l’immigration (52%). Ces deux dimensions devancent ­l’intégration des personnes étrangères (41%) ou l’accueil des migrants (36%). L’apport bénéfique, qu’il soit culturel, humain ou économique, émerge en dernière position.

    Près des trois-quarts considèrent que l’immigration coûte plus à la France qu’elle ne lui rapporte tandis que 7 sur 10 estiment que le pays n’a plus les moyens d’accueillir des immigrés. L’impact est perçu comme négatif sur les comptes publics par 64% des répondants.

    Une nette majorité de Français (60%) considère que l’accueil d’étrangers n’est plus possible du fait des différences de valeurs et des problèmes de cohabitation. Une part quasi identique estime qu’il joue un rôle négatif pour l’identité française et pour la cohésion de la société. Ces craintes identitaires côtoient des a priori négatifs quant à l’impact de l’immigration sur la laïcité (61% d’effets défavorables de l’immigration sur le respect de ce principe) et à un degré moindre l’égalité femmes-hommes (49%) ou le respect de minorités (homosexuels et juifs, 41%).

    Enfin, le lien prétendu entre l’insécurité et l’immigration, agité par le Front national depuis les années 1980, fait l’objet d’une adhésion majoritaire. Deux tiers des Français considèrent que celle-ci a un effet négatif en matière de sécurité, voire, pour 53%, qu’elle maximise le risque terroriste.

    Le regard des sympathisants de gauche et de droite est cependant antagoniste, avec des écarts parfois de plus de 40 ou 50 points tandis que les sympathisants LR et ceux du Rassemblement national expriment des jugements proches (l’immigration a un impact négatif d’une manière générale : LR 76%, RN 83% ; l’immigration coûte plus qu’elle ne rapporte : LR 88%, RN 89%). Les sympathisants LREM apparaissent enfin souvent au point d’équilibre, tout en se rapprochant du peuple de gauche, sur les questions du coût, du droit de vote des étrangers ou du “risque terroriste” lié à l’immigration. L’explosivité politique du problème ne fait donc aucun doute.

    Conclusion 1 :

    Ces données établies, on peut considérer que l’essentiel des enjeux en matière de flux porte sur :

    • Notre aptitude à gérer une augmentation régulière mais limitée des flux sans céder ni au fantasme du « grand remplacement » ni à l’utopie d’un droit universel à la libre installation. Ni naïveté ni fébrilité.
    • La capacité de l’Union Européenne à s’entendre pour renforcer sa coopération en interne (aux frontières comme dans la gestion de ses procédures : Schengen, Dublin, renforcement de Frontex, etc.), et vis à vis de l’Afrique pour encourager son développement et maîtriser sa démographie.
    • La nécessité de préserver le régime spécifique de l’asile des pressions exercées sur celui-ci par les objectifs de maîtrise des flux migratoires dont il ne relève pas et le développement d’une protection humanitaire provisoire.
    • Notre capacité à répondre à travers ces initiatives aux préoccupations de nos concitoyens.

    Au total, UNE POLITIQUE RÉPUBLICAINE DE L’ACCUEIL COHÉRENTE devrait viser à :

    • Mettre de la cohérence dans la manière de traiter les demandes entre les pays de l’Union Européenne en travaillant à réviser les accords de Dublin ou, à défaut, en encourageant, entre les États de l’Union volontaires, la reconnaissance mutuelle des décisions nationales en matière d’asile.
    • Gérer efficacement les demandes dans le respect du droit en bâtissant dans ce cadre une politique de répartition solidaire des primo-arrivants facilitée par la création de centres d’hébergement fermés. Ceux-ci seraient gérés en France par l’OFPRA par ailleurs encouragé à ouvrir à proximité des régions en tension (Proche Orient, bassin méditerranéen) des centres de transit – auxquels seraient étroitement associés les ONG – permettant d’identifier les demandeurs relevant effectivement d’un régime de protection.
    • Mieux protéger les frontières de l’Union Européenne en renforçant les moyens de Frontex pour aider à garantir leur respect tout en garantissant la sauvegarde en mer des migrants dont la vie serait mise en péril.
    • Ajuster le droit à la réalité, d’une part, en facilitant le règlement maîtrisé, par les préfets, des situations familiales les plus pénibles, pour mettre un terme à la situation des « ni-régularisables, ni-expulsables » ; d’autre part, en renforçant la politique de reconduites confiée à un service dédié pour la rendre enfin efficace, en relation avec les pays d’origine (NB : A peine 20% des décisions de reconduite sont exécutées ; les 3/4 concernent des personnes placées en rétention dont 50% cependant sont libérées dans un tiers des cas par décision de justice) ; en supprimant ensuite l’odieux « délit de solidarité » et en assumant pleinement le principe d’humanité qui nous oblige à porter secours aux migrants en mer et à faire preuve de solidarité à l’égard de celles et ceux qui, ayant franchi légalement ou non nos frontières, ont droit à un traitement décent; et en ouvrant enfin plus largement la voie à une admission temporaire au séjour (la protection subsidiaire) pour les personnes ne relevant pas directement de l’asile mais ayant besoin d’une protection le temps d’un apaisement des tensions dans leur pays d’origine afin de mieux faire face aux réalités du moment.

    6) Déterminer le véritable enjeu

    Si les flux migratoires restent au total en amont relativement modestes, et si les perspectives d’augmentation demeurent malgré tout limitées, ils n’en viennent pas moins accentuer en aval les problèmes non résolus liés à des conditions d’intégration rendues difficiles par la situation économique du Pays.

    La vérité est que la France a ainsi de plus en plus de difficultés à assumer une situation héritée de son histoire.

    Rappelons en premier lieu que de tous les pays de l’Union, la France est celui qui a la tradition d’accueil la plus ancienne.

    Sa particularité ne tient pas au nombre de ressortissants étrangers au regard de la population puisqu’elle se trouve dans la moyenne européenne. Ainsi, les nationaux de pays non membres vivant en France représentent 4,6% (6,9 avec les ressortissants de l’Union Européenne) de la population – soit moins que dans les années 1920 – contre 4,4 moyenne de l’Union Européenne.

    Elle ne tient pas non plus à l’importance du nombre de résidents nés hors de France qui représentent 8,9% de sa population (12,1 avec les ressortissants Union Européenne) – contre 8,8 en Allemagne, Belgique et Grande Bretagne ; 10,4 en Autriche et … 12,4 en Suède ! Sa spécificité vient de l’ancienneté de son immigration qui fait de notre pays, après l’Autriche ou la Lettonie (30%) et plus encore la Suède (32%), celui qui compte la proportion la plus élevée de personnes y résidant dont un des parents est né à l’étranger (Union Européenne compris) soit 25% (contre 18% dans la moyenne UE) appartenant pour moitié (13%) à la seconde génération.

    Observons ensuite que cette immigration, qui était pour moitié d’origine européenne jusqu’aux années 1990, est devenue désormais une immigration d’origine africaine à 50%, et notamment de plus en plus sub-saharienne (même si celle-ci ne représente qu’1,5% de la population totale). Du coup, 17% des jeunes de moins de 25 ans sont aujourd’hui d’origine extra-européenne (dont un cinquième d’origine sub-sahélienne) ouvrant la voie à une société de plus en plus multiculturelle.

    Ayons cependant en tête en troisième lieu que, comme le montrent de nombreuses études, c’est moins l’intégration culturelle que sociale qui fait principalement défaut ! Il ne fait en effet aucun doute que l’intégration culturelle progresse : les enfants de résidents étrangers sont plus diplômés que leurs parents ; les 2/3 des descendants d’immigrés sont en couple avec un non-immigré et la France enregistre le plus fort taux d’attachement des immigrés à leur pays de toute l’UE avec 95% se disant proches ou très proches de leur pays d’accueil (source OCDE 2018).

    Il existe certes avec une partie de l’immigration récente des difficultés particulières concernant le rapport à la langue, à l’égalité des sexes ou à la laïcité.

    Mais l’essentiel du problème est lié d’abord à une excessive concentration géographique (parmi les 36 communes de plus de 10.000 habitants dont plus de 30% de la population est d’origine étrangère, 33 sont en Île-de-France dont 15 en Seine-Saint-Denis). Celle-ci, à l’origine des tensions urbaines le plus souvent observées, est par ailleurs facilitatrice de la pénétration de l’islamisme radical.

    A cela s’ajoute le niveau social le plus souvent très modeste de ces populations, qui explique qu’à l’instar des autres catégories populaires, elles soient victimes de fortes inégalités scolaires. Ainsi à 15 ans, les descendants d’immigrés accusent-ils en moyenne un retard de scolarité d’un an et demi (cf. OCDE Trouver ses marques 2018 Les indicateurs de l’intégration).

    Le problème se manifeste enfin et surtout par des inégalités majeures d’accès à l’emploi.

    Le même rapport de l’OCDE montre que la France, à l’instar des pays de destination de longue date comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et les Pays-Bas, fait face pour ses immigrés nés à l’étranger à des taux d’emploi et de chômage respectivement inférieur de 10 points et supérieur de 6 à ceux des personnes nées dans le pays, notamment du fait d’une immigration ancienne, de faible qualification ou venue pour des raisons non professionnelles.

    Ce constat est d’autant plus regrettable que l’économie française ne pourra répondre aux problèmes de recrutement que connaissent dans des zones très localisées certains secteurs d’activité particulier qu’en recourant à une main d’œuvre étrangère, faute de disponibilité ou d’appétence sur place.

    La gestion de ces difficultés pourrait pourtant être facilitée par une meilleure gestion de notre immigration de travail. Il faut savoir que celle-ci résulte moins d’entrées nouvelles (un tiers des autorisations délivrées chaque année) que de l’arrivée sur le marché de l’emploi d’étrangers résidant déjà en France à un autre titre (deux tiers) : familial, humanitaire ou universitaire. La priorité devrait donc être donnée à leur formation et à un accompagnement solide vers l’emploi, en liaison avec les acteurs des bassins économiques concernés, ce qui fait totalement défaut aujourd’hui.

    En comparaison de ces enjeux, sachons enfin que les moyens publics dédiés (programme 104 de la mission immigration asile intégration) semblent dérisoires.

    240 millions d’euros étaient destinés en 2018 aux primo-arrivants hors demandeurs d’asile (qui mobilisent à eux-seuls 996 millions d’euros dont 296 au titre des CADA et 355 pour l’allocation spécifique) dont 56 millions d’euros pour les 100.000 Contrats d’intégration républicaine par an. Une hausse de 40% est cependant intervenue en 2019 visant à augmenter d’une centaine d’agents les effectifs de l’OFII consacrés à ces Contrats dont le volume de formation linguistique (de 200 à 400 heures) et civique (de 12 à 24 heures) a été doublé et complété d’un bilan d’orientation professionnelle. Néanmoins le montant global des crédits ainsi affectés à l’accompagnement n’excède pas 90 millions d’euros…

    Conclusion 2 :

    Au total, il est possible d’affirmer que la question centrale de l’intégration ne se pose de manière aiguë que pour une partie seulement de la population immigrée, concentrée dans des quartiers dits difficiles, et victime d’une forme de ghettoïsation à laquelle il doit être possible de mettre un terme par des politiques appropriées de formation mais aussi de logement.

    L’enjeu est par conséquent de définir et de mettre en œuvre là encore UNE VÉRITABLE POLITIQUE DE L’INTÉGRATION RÉPUBLICAINE qui pourrait se décliner en 5 mesures :

    1. Refuser toute complaisance avec l’islamisme et toutes les formes de revendication communautarismes tout en privilégiant une approche pragmatique et progressive, hiérarchisant les enjeux (quelle place le burkini mérite-t-il vraiment dans le débat public ?) pour faire cesser les atteintes à la laïcité et mettre en place, sur ce sujet, des outils appropriés de formation, de conseil et d’accompagnement des acteurs locaux.
    2. Renforcer l’intégration sociale en cassant les ghettos urbains notamment par un accès facilité à la propriété, en donnant une priorité à la lutte contre l’échec précoce et en engageant un vaste plan de qualification des jeunes non diplômés.
    3. Doubler le nombre de contrats d’intégration républicaine et les compléter par un solide volet d’accompagnement vers l’emploi.
    4. Offrir systématiquement aux étudiants étrangers un suivi professionnel, via Campus France par exemple, afin de faciliter leur insertion en rapport avec les secteurs en tension.
    5. Recentrer l’OFII sur sa mission d’intégration éventuellement en la déchargeant sur l’OFPRA de l’hébergement des demandeurs.

    •••••••••••••••••

    CONCLUSION POLITIQUE GÉNÉRALE

    Au delà des données objectives rappelées dans ce papier, il est essentiel d’admettre que la population, dynamique démographiquement mais touchée par un chômage élevé et durable, en est arrivée à considérer que le coût de l’accueil, en termes de logement, de santé, d’aide sociale et d’emploi est désormais à la limite du supportable. Elle s’interroge aussi sur la capacité d’intégration de nos compatriotes d’origine étrangère à partir d’un bilan de la situation rendu trompeur, on l’a vu, par la concentration des populations concernées dans les mêmes régions et quartiers et par le faible niveau de qualification que les immigrants partagent avec leurs concitoyens socialement défavorisés. La difficulté s’est encore accentuée en raison de l’éloignement croissant des nouveaux arrivants, en particulier d’Afrique, à l’égard de nos valeurs politiques dominantes( laïcité, droit des femmes, etc.). La menace terroriste et la crise migratoire de 2015-16 ont fait le reste.

    Il ne saurait pour autant être question de renoncer à nos principes ni d’entretenir les passions en s’alignant sur les discours les plus irresponsables.

    Comment résoudre efficacement pareille équation ?

    Si l’on met de côté les divagations de l’extrême droite, qui extrapole une réforme de la Constitution et la remise en cause de nos engagements internationaux (Convention de Genève pour l’asile, article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme pour le regroupement familial), la droite oscille entre préférence pour l’immigration « choisie » et réduction de l’immigration « subie ».

    • La première a été expérimentée par N.Sarkozy et s’est traduite par un échec.

    Non seulement parce que l’immigration de travail est déjà très limitée. Mais aussi parce qu’une planification de l’accueil en fonction des besoins de main d’œuvre se révèle trop lourde à mettre en œuvre (la Suisse qui a en conservé le principe y a dans la pratique renoncé et au Canada la politique de quotas et de points est indépendante du marché du travail). Du coup elle a été abandonnée dans les faits trois ans seulement après son lancement.

    • La seconde, mise en œuvre officiellement ou non, par tous les gouvernements depuis 15 ans, et reprise sans réserve par LREM, suppose de réduire les flux réguliers existants.

    L’immigration de travail étant déjà strictement contenue, ne restent que le regroupement familial et l’asile – qui sont des droits protégés dont les limitations ont été portées à leur extrême limite – et les étudiants dont l’arrivée vient d’être ralentie par l’instauration de droits d’inscription élevés. Autant dire qu’il n’existe plus dans cette optique beaucoup de marges de manœuvre même si l’Allemagne, le Danemark et d’autres encore ne cessent de restreindre le droit des familles à se reconstituer.

    La Gauche se montre de son côté incapable de définir une ligne. Pire elle a aujourd’hui sur ce dossier une image en contradiction totale avec l’action qu’elle a menée. Créditée de laxisme, critique qu’elle a laissée se développer pour se « couvrir » auprès de ses troupes, elle a dans la pratique prolongé la politique de restrictions – en en supprimant toutefois certains excès (ex.: abolition du décret Guéant en 2012). Voie dans laquelle semble vouloir la suivre le gouvernement Macron qui n’a pas hésité à reprocher publiquement à l’Italie sa politique restrictive tout en en partageant dans la pratique (aux excès de Salvini près) la plupart des caractéristiques et qui s’apprête manifestement à recourir à la gesticulation législative pour « contrer » le RN.

    Ces subtilités rhétoriques n’ont eu pour effet que d’accentuer encore l’exaspération des peuples européens en général et de nos concitoyens en particulier.

    Ceux-ci voient bien en effet que les déclarations de fermeté ne correspondent à rien de concret, pour la raison simple qu’il est quasiment impossible d’aller plus loin dans la maîtrise et la réduction des flux !

    Aussi la seule façon de retrouver l’oreille de nos concitoyens sur ces sujets sera de construire une réponse politique, solide et autonome :

    1. En donnant tout d’abord son sens à ce débat, c’est-à-dire en rapportant le désordre migratoire au désordre général que produit un système économique à l’origine de la misère et du chaos des pays d’origine. Les flux migratoires ne sont pas l’effet d’une fatalité mais de mécanismes de prédation qui sont à l’œuvre partout. Nous devons rappeler sans cesse que nous avons affaire avec une IMMIGRATION DE LA MISÈRE ET DU DÉSESPOIR imputable notamment à un régime de développement de l’Afrique pour partie fondé sur la corruption, l’exploitation des ressources naturelles et minières mis entièrement au service des grandes économies Chine comprise au détriment des populations. L’enjeu est bien de reconnecter le débat migratoire et le débat idéologique sur l’économie et le monde que nous voulons. Ce rappel ne peut cependant servir de prétexte à une éventuelle inaction.
      D’où la priorisation dans notre politique étrangère de la sécurisation des zones de violence génératrices d’instabilité en nous attaquant aux causes profondes des déstabilisations (corruption, armement de factions et milices, exploitation des femmes, etc.) ce que la protection de nos rentes économiques dans la région et la peur de la menace islamique nous ont toujours empêché de faire.
    2. En jetant les bases ensuite d’une politique républicaine de l’immigration comportant un double volet européen et intérieur.
      À l’échelle de l’Union Européenne, la France devrait prendre l’initiative d’une nouvelle stratégie visant à faire respecter ses frontières et fondée sur la solidarité initiée à partir des pays volontaires. Celle-ci comporterait 2 niveaux :

      1. La recherche d’une cogestion des migrations avec les pays d’origine fondée sur la mise en place de « quotas » d’accueil à l’échelle de l’Union ou des pays volontaires et l’intensification des aides au développement, en particulier agricole et durable (afin notamment de compenser les pertes de devises liées à la maîtrise des flux) avec notamment pour pendant le démantèlement des réseaux de passeurs. Cela suppose une réorientation de nos politiques notamment en direction de l’Afrique au service d’un développement autocentré, et respectueux de l’environnement.
      2. La construction d’une vraie politique européenne de l’asile reposant sur une sécurisation des flux (via la création de centres de transit près des lieux de conflit et de centres fermés aux frontières de l’Union), une harmonisation des procédures, une reconnaissance mutuelle des décisions nationales de protection favorisées par la concrétisation de l’idée d’agence européenne et une consolidation de Schengen notamment via le renforcement de Frontex.

    À l’intérieur, en mettant en œuvre les 5 mesures figurant ci-dessus dans la Conclusion 2. Celles-ci constitueraient l’un des axes d’une Ambition Globale d’Intégration Républicaine (AGIR) destinée à renforcer la cohésion nationale en luttant partout contre la déqualification et la ghettoïsation pour donner à chacun quelle que soit son origine UN MÊME DROIT À L’AVENIR.

    * * * * * * * *

    Annexe 1

    Accords migratoires signés par la France

    • Accord France – Cameroun du 21 mai 2009 relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire (ensemble six annexes), signé à Yaoundé le 21 mai 2009 (250 entrées par an)
    • Accord France – Burkina-Faso relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire (6 annexes) signé à Ouagadougou le 10 janvier 2009 (150 par an)
    • Accord France – Cap-Vert relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au développement solidaire (ensemble trois annexes) signé à Paris, le 24 novembre 2008 (150 entrées par an)
    • Accord France – Bénin relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé à Cotonou le 28 novembre 2007, entré en vigueur le 1er mars 2010
    • Accord France – Congo relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé à Brazzaville le 25 octobre 2007 et entré en vigueur le 1er août 2009 (100 par an)
    • Accord France – Gabon relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé à Libreville le 5 juillet 2007 et entré en vigueur le 1er septembre 2008
    • Accord France – Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires, signé à Dakar le 23 septembre 2006 et Avenant du 25 février 2008, entrés en vigueur le 1er août 2009
    • Accord France – Île Maurice relatif au séjour et à la migration circulaire de professionnels (ensemble deux annexes), signé à Paris, le 23 septembre 2008 (500 par an)
    • Accord France – Île Maurice relatif à la coopération en matière de sécurité intérieure signé à Paris le 13 juin 2008
    • Accord France – Mali dans le domaine des migrations, signé à Bamako le 29 mai 1998
    • Accord France – Tunisie relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé à Tunis le 28 avril 2008
    • Protocole Accord France – Tunisie relatif à la gestion concertée des flux migratoires et au co-développement, signé à Tunis le 28 avril 2008
    • Accord France – Russie sur les migrations professionnelles, signé le 27 novembre 2009 et la circulaire d’application du 14 novembre 2011

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    ANNEXE 2 :

    L’IMMIGRATION DE TRAVAIL

    S’agissant de l’immigration professionnelle qui représente 8 à 9% des entrées sur le marché du travail, la France se révèle d’autant moins attractive que le migrant est qualifié, ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’insertion dans l’emploi. Elle est aussi en dessous de la moyenne de l’OCDE pour ce qui est de la rétention des talents. Si elle attire les étudiants diplômés du secondaire (2e pays non anglophone), le potentiel de ses étudiants n’est pas toujours exploité et la probabilité est plus élevée pour ceux-ci d’être au chômage ou déclassés. Pour autant, près d’un tiers d’entre eux obtient un titre de séjour, ce qui représente la moitié de l’immigration professionnelle. Si l’on y ajoute les régularisations, les autorisations de séjour au titre du travail sont attribuées pour plus des deux tiers à des étrangers résidant déjà sur le sol français (sans compter les bénéficiaires du regroupement familial, les réfugiés et les ressortissants de pays membres de l’Union). Une étude menée par Yves Brême et Jean-François Léger (espace population société 2013) évaluait à 104.000 par an les nouveaux actifs étrangers entrant sur le marché du travail, ce qui laisse supposer une augmentation depuis lors.

    En revanche, le titre de séjour spécifique pour les scientifiques chercheurs fonctionne bien (la France se classe 2e dans l’Union Européenne derrière le Royaume-Uni avec 20.000 chercheurs entre 2012 et 2014) de même que le Passeport Talent – titre pluriannuel, accessible aux étrangers diplômés du 3e cycle en France, aux étrangers diplômés en France qui ont quitté le pays puis reviennent, et aux entrepreneurs et porteurs de projets innovants.

    Le mécanisme de non-opposabilité de la situation d’emploi pour les métiers en tension bute sur la difficulté d’évaluer les besoins de sorte que l’arrêté du 18 janvier 2008 qui en dresse l’inventaire par secteurs et par régions n’a jamais été actualisé (sauf en 2012 pour les pays nouvellement entrés dans l’Union, à savoir à ce jour et jusqu’à 2020 la Croatie ) depuis lors. Le même constat peut être effectué concernant les listes annexées aux accords de gestion concertée (AGC) signés avec quelques pays d’origine.

    C’est qu’au regard des transformations rapides de l’emploi, les besoins se mesurent plus en termes de compétence et d’adaptabilité que de qualifications précises !

    * * * * * * * *

    ANNEXE 3

    Migrations : les enjeux d’une politique d’accueil
    Par André GAURON

    La question migratoire, et avec elle l’hospitalité, est, dans la culture occidentale, aussi vieille que celle-ci. Depuis l’Antiquité, elles sont au cœur de débats incessants. Dès Homère, le devoir d’hospitalité est considéré comme une valeur cardinale de l’Europe. Pourtant, le rejet de l’étranger a plus souvent prévalu que son accueil. Même lorsque l’hospitalité a été accordée à ceux qui fuyaient la barbarie, la répression ou simplement la misère, l’accueil n’a pas toujours été digne. De tout temps, les camps, où venaient s’entasser les arrivants, sont venus souligner que l’accueil n’entraîne pas ipso facto l’acceptation du vivre ensemble. Pire, il peut être révocable : que survienne un chômage important, et ceux qu’on a été cherchés dans les temps de croissance pour suppléer l’insuffisance de main d’œuvre se voient renvoyés dans leur pays d’origine en y prenant plus ou moins les formes. Celui que le pays allait chercher hier pour travailler dans les mines ou sur les chantiers et les chaines automobiles est désormais celui qui vous prend votre pain. L’acceptation de l’autre est un processus qui est rarement complètement abouti. Il ne suffit pas de vouloir se fondre dans la communauté qui vous a accueillie pour faire corps avec elle. La moindre crise peut brutalement tout remettre en cause et transformer en bouc émissaire celui à qui on a offert l’hospitalité.
    La question migratoire a été, ces dernières années, surdéterminée par les arrivées massives de l’été 2015 et la crise qui s’en est suivie au niveau européen. La guerre et les attentats qui ravagent de nombreux pays du Moyen-Orient, Syrie, Irak, Afghanistan, Yémen, Soudan, ont brusquement transformé une immigration économique régulière mais de faible ampleur en un exode massif de personnes et une demande non moins massive d’asile. Les problèmes d’accueil s’en sont trouvés transformés. Si ce pic s’est depuis résorbé, l’avenir ne garantit pas qu’il ne se reproduise pas pour les mêmes raisons, tant le Moyen-Orient reste une zone de conflits, ou à la suite à d’événements climatiques extrêmes. En dehors de ces situations très particulières, l’immigration va se poursuivre et, comme l’a déclaré François Héran dans sa leçon inaugurale au Collège de France, « nous n’avons pas à être pour ou contre l’immigration (…), qu’on le veuille ou non, nous devons faire avec l’immigration, tant elle est ancrée dans nos sociétés ». Depuis le lendemain du premier choc pétrolier qu’elle fait débat, elle ne s’est jamais interrompue. Ce n’est pas demain qu’elle le sera. Il est donc indispensable, de tirer les enseignements de la crise récente pour tenter de définir une approche à la fois réaliste et humaine qui ne soit pas entièrement d’ordre sécuritaire. L’objet du présent papier n’est pas de traiter en tant que telle de l’immigration, de son ampleur, de ses avantages et inconvénients, mais de l’appréhender à travers sa gestion par les Etats et la Commission européenne.
    Un aveuglement coupable
    Accorder l’hospitalité à des centaines de milliers de migrants supposait un minimum d’anticipation. Elle a fait totalement défaut. Les chefs d’Etat et de gouvernement ont fait preuve d’une cécité coupable. Les alertes pourtant n’ont pas manqué. Dès 2013, le Haut-commissariat aux réfugiés comme l’agence européenne des gardes-frontières et gardes côtes (Frontex) ont alerté les Etats et la Commission européenne sur la situation dans les camps de réfugiés syriens, irakiens et afghans stationnés en Turquie, au Liban et en Jordanie et sur le risque que ces pays ne soient pas en mesure de faire face aux flux croissants des arrivées. De même, le Programme alimentaire mondial (PAM) avait demandé aux Etats membres de l’Union européenne d’honorer leurs engagements pour lui permettre de subvenir aux besoins des réfugiés hébergés dans ces camps, à défaut de quoi ces populations n’auraient d’autre choix que de tenter leur chance en Europe. S’ils l’avaient décidé, il aurait été possible aux chefs d’Etat et de gouvernement d’actionner le mécanisme d’alerte et de prévention prévu par le règlement de Dublin. Il n’en a rien été.
    L’une des explications de cette cécité tient à la façon dont la question migratoire a été pris en charge et traité jusqu’à aujourd’hui. Qui est migrant ? Un réfugié, celui que la guerre, les exactions ou la répression pousse à demander asile ou un migrant économique, celui qui fuit la misère ou l’absence d’emploi dans son pays et espère trouver une vie meilleure ? Jusqu’en 2015, chefs d’Etat et de gouvernement se sont refusés à voir dans les migrants des réfugiés, demandeurs d’asile potentiels, mais uniquement des immigrés clandestins et illégaux, relevant de la police des frontières des Etats, et donc des seuls ministres de l’intérieur. Par ailleurs, la question migratoire n’a jamais été considérée dans sa globalité, comme la conséquence inévitable des guerres qui ravagent le Moyen-Orient – Afghanistan, Irak, Syrie, Lybie mais aussi Soudan -. De ce fait, elle a été abordée dès l’origine sous le seul angle sécuritaire. La directive relative à la protection temporaire des migrants, datant de 2001, qui permet d’octroyer une protection d’une année, en cas d’afflux massif de personnes déplacées » ou « d’afflux massif imminent », « sans préjudice de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la convention de Genève », n’a jamais été mise en œuvre car elle aurait obligé à porter un regard différent sur ceux qui arrivaient, alors en nombre réduit, aux frontières de l’Europe. De même, le système « d’alerte rapide, de préparation et de gestion de crise » prévu par le règlement de Dublin III, destiné à « parer aux dysfonctionnements des systèmes d’asile nationaux et d’apporter une aide aux pays confrontés à un grand nombre de demandeurs d’une protection internationale » est resté en sommeil, même aux pires moments de l’année 2015.
    Les débats au sein des instance communautaires n’ont pas échappé à ce biais sécuritaire. Dès sa prise de fonction, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker a fait de la définition et de la mise en place d’une nouvelle politique migratoire une de ses dix priorités. Un commissaire chargé de la migration avait été nommé et chargé, avec le vice-président Frans Timmermans, de faire des propositions. Toutefois, le document d’orientations stratégiques (orientation 8) mettait l’accent sur la « migration légale » (dans un but démographique et économique) et sur la lutte contre l’immigration clandestine « par une meilleure coopération avec les pays tiers, notamment en matière de réadmission ». Enfin, le document soulignait la nécessité de « frontières sécurisées en Europe » de façon « à empêcher un afflux incontrôlé de migrants illégaux ». Le migrant ne devient un réfugié que si le droit à l’asile lui est reconnu et donc après qu’il ait passé la frontière. A la frontière, il n’est qu’un migrant illégal.
    A la suite des premiers naufrages en mer, le conseil européen de juin 2015 a lancé une opération de lutte contre les trafiquants et les passeurs (EUNAVFOR MED) et décidé un renforcement de la gestion des frontières extérieures « pour mieux endiguer les flux croissants de migration illégale ». Il a d’autre part, décidé de venir en aide à l’Italie et à la Grèce en proposant « une relocalisation temporaire et exceptionnelle sur deux ans de 40 000 personnes » entre les Etats volontaires. Les Etats membres comme la Commission restaient ainsi dans une logique d’avoir à faire face à une migration illégale et non à un afflux massif de personnes déplacées relevant du droit d’asile et justifiant d’une protection immédiate. Quand les pays qui abritaient les camps de réfugiés, Turquie, Liban et Libye, notamment, ont laissé les candidats au départ les quitter et fermer les yeux sur les passeurs, les responsables européens n’étaient pas préparés à l’explosion des flux des demandeurs d’asile qui arrivaient par la route des Balkans et la Méditerranée centrale.
    L’erreur des chefs d’Etat et de gouvernement comme de la Commission est de penser que la sécurité aux frontières peut se réduire à de simples opérations de police. Ils espèrent ainsi ne pas avoir à accorder de protection à titre humanitaire, même temporaire. On le voit bien avec le récent décret du ministre de l’intérieur italien (en date du 4 octobre 2018) d’abroger la protection humanitaire prévue par la loi italienne. La sécurité en Europe, donc la paix aux frontières, ce pourquoi l’Union européenne s’est créée, ne peut pas relever que des ministres de l’intérieur. Elle implique une vision plus large qui s’articule avec à la politique étrangère et la politique de défense de voisinage. Diplomatie, défense et police doivent aller de pair. Nous en sommes très loin.
    Une hospitalité allemande qui a divisé l’Europe
    L’année 2015 marque à plusieurs égards un tournant, l’espoir d’une rupture qui devait « sauver l’honneur de l’Europe », mais qui a très vite tourné court. La question n’est pas la fermeture des frontières à une immigration illégale, mais l’arrivée massive de réfugiés, syriens notamment, arrivant des côtes turques, ne pouvant pas retourner dans leur pays et devant être accueillis comme demandeur d’asile. En ouvrant ses frontières, Angela Merkel, la chancelière allemande a changé les termes du débat et ouvert la boite de Pandore. En 2015, l’Allemagne a connu 1 543 000 entrées contre 631 000 pour la Grande-Bretagne, 363 900 pour la France suivie de l’Espagne (343 900) et de l’Italie (280 100). Toutefois, dans le même temps, l’Allemagne connaissait 347 200 départs, contre 343 900 pour l’Espagne, 299 200 pour la Grande-Bretagne suivie de la France (298 000) et de la Pologne (258 800). Le nombre de migrants originaires d’un pays extérieur à l’Union européenne est cependant inférieur, mais très variable d’un pays à l’autre : en Allemagne, ils représentent 63 % des entrées, soit un peu moins du million de personnes, contre seulement 40 % pour la France et 43 % pour la Grande-Bretagne. Les migrants ayant obtenu le statut de réfugiés arrivés en 2015, sont un peu moins nombreux, 890 000, mais compte tenu des délais de traitement des dossiers, ils ont été enregistrés comme tel en partie en 2015 (475 000) et en partie avec le flux des arrivées de 2016 (745 000). En 2017, le nombre de réfugiés enregistrés sous ce statut en Allemagne n’était plus que 220 000.
    Le débat qui s’ouvre en 2015 ne résulte pas uniquement du gonflement brutal des flux de réfugiés. Alors que l’immigration était largement commandée jusqu’ici par des besoins de main d’œuvre et par le regroupement familial, ce sont des réfugiés fuyant les guerres et les massacres autant que la misère qui arrivent de Syrie, d’Afghanistan, d’Erythrée ou du Soudan, qui arrivent sans que pour autant l’immigration économique, notamment albanaise et sub-saharienne, ait cessé. Parmi eux, certains avaient participé à des combats. Avant de venir chercher un emploi, ils demandent l’asile. La distinction entre demandeurs d’asile et demandeurs de cartes de travail (donc aussi de séjour), qui ouvrent à des procédures d’éligibilité et à des droits différents s’en est trouvée brusquement bouleversée, et une certaine confusion s’est installée.
    Dès 2015, l’Union européenne s’est divisée sur l’accueil des demandeurs d’asile. Alors que la chancelière allemande leur ouvrait ses frontières, le gouvernement hongrois de Viktor Orban leur fermait les siennes par une clôture de barbelés. Même en Allemagne, l’ouverture n’a pas duré. Trois semaines plus tard, la chancelière faisait volte-face et replaçait des contrôles à la frontière autrichienne et suspendait les trains. Sa générosité initiale (qui contrastait avec sa raideur dans la crise grecque) et son volontarisme (son « nous y arriverons » à les accueillir tous) avait fait long feu. Plus grave, lors du conseil européen extraordinaire du 23 septembre, elle est revenue sur la décision prise quelques mois auparavant par les chefs d’Etat et de gouvernement d’une répartition des réfugiés (destinée à soulager la pression sur l’Italie et la Grèce) entre Etats-membres sur la base du seul volontariat pour imposer par un vote à la majorité simple des quotas obligatoires. Quatre gouvernements ont voté contre : la Hongrie, la Slovaquie, la Tchéquie et la Roumanie.
    Pour endiguer le flux continu de syriens en provenance de la Turquie, la chancelière n’eut d’autre solution, en mars 2016, que de se précipiter à Ankara pour négocier avec le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, un accord pour qu’il ferme la route de l’exil en échange d’un chèque de 3 milliards d’euros et la promesse (non tenue) de supprimer les visas d’entrée dans l’Union européenne. Une fois de plus, elle agit seule et cherche ensuite l’approbation de ses partenaires européens et le partage de son coût financier. Tout au long de la crise, l’hospitalité (passagère) de la chancelière se sera faite au détriment de la solidarité européenne. Ni pour l’ouverture de ses frontières ni pour la négociation de l’accord avec la Turquie, elle n’a jugé bon de consulter au préalable des autres gouvernements de l’Union européenne. Quand elle invoque la solidarité européenne, lors de l’établissement de quotas, c’est pour mieux imposer sa loi. Le résultat est catastrophique. Là où il fallait créer du consensus, la politique de la chancelière a durablement divisée l’Union et son solo a fait surgir au grand jour une revendication de souveraineté nationale contre les « diktats » de Bruxelles.
    Le « déni d’hospitalité » français
    La politique française ne brille plus depuis longtemps par son sens de l’hospitalité. C’est plutôt d’un « déni d’hospitalité » dont il faudrait parler. L’après-guerre avait inauguré un nouveau cycle d’immigration. La France avait besoin de main d’œuvre pour contribuer à la reconstruction puis au développement du pays et accueillait espagnols, portugais, algériens et marocains venus chercher de meilleures conditions de vie. Parfois, le patronat, comme dans l’automobile, allait recruter lui-même la main d’œuvre sur place… jusqu’à ce que le président Giscard, confronté aux conséquences de la récession de 1973 et l’irruption de revendications et de grèves d’OS immigrés y mette fin. En 1974, il suspend l’immigration des travailleurs et des familles non communautaires (le regroupement familial est cependant rétabli dès 1975). Au gré des alternances politiques, la politique de l’immigration s’est faite plus ou moins dure, mais l’immigration économique et familiale ne s’est jamais arrêtée : avec de l’ordre de 300 000 entrées annuelles et 200 000 sorties, le solde migratoire n’a que peu évolué et reste autour de 100 000 personnes, alimentant un débat récurrent dont le Front national a fait son fonds de commerce. Enfin, la France n’accord le statut de réfugié qu’avec parcimonie : sur 100 412 demandes d’asile enregistrées en 2017, seulement un tiers (32 011) a été acceptée.
    Le seul moment d’hospitalité de la France fut en 1979, l’accueil des « boat people » qui fuyaient le sud Vietnam communiste et le Cambodge des khmers rouges (120 000 personnes seront accueillies), qu’à l’instigation de Jean-Paul Sartre et Raymond Aron le président Giscard décida de secourir. Il ne s’est pas renouvelé. Aujourd’hui, la France ferme ses ports aux bateaux qui secourent les migrants en mer Méditerranée et ses frontières à ceux qui arrivent via l’Italie ou l’Espagne. Plus grave, elle a été jusqu’à inventé un « délit de solidarité ou d’hospitalité » pour décourager ceux qui viennent en aide aux migrants, jusqu’à ce que le Conseil Constitutionnel y mette fin au nom du « devoir de fraternité » inscrite dans la Constitution. Non sans un certain cynisme, le gouvernement français critique les gouvernements hongrois ou italien qui, l’un, édifie mur et barbelés, l’autre, ferme ses ports, en s’abritant derrière la règle internationale du « port sûr le plus proche », alors même qu’il maintient fermé toutes les entrées possibles du territoire.
    Si la France bloque les entrées au sud, elle boucle aussi au nord la sortie de ceux qui cherchent à gagner l’Angleterre et pour qui elle n’est qu’un pays de transit. A la suite des accords du Touquet, négocié par l’ancien président Sarkozy, la France a accepté de faire le travail des britanniques contre paiement, précédant de plusieurs années l’accord négocié par Angela Merkel avec le gouvernement turc. Bien avant la Hongrie d’Orban, cet accord a conduit la France a expérimenté l’édification de barbelés toujours plus hauts sur une distance toujours plus longue et aujourd’hui d’un mur pour sécuriser la zone portuaire contre les intrusions de réfugiés. Le résultat a été la création d’un « hot spot » sauvage qui s’est installé à Calais, la fameuse jungle, où s’amassent les candidats à la traversée sans pour autant éradiquer ni même décourager les passeurs. Pourquoi la France devrait-elle se faire le supplétif de la Grande-Bretagne ? Pour éviter d’avoir à gérer ceux que la Grande-Bretagne expulserait à leur arrivée ? Cela ne justifie pas que la France se fasse le gardien de l’entrée en Grande-Bretagne. Avec le Brexit, la remise en cause des accords du Touquet et la fin d’un mur de la honte devraient aller de soi.
    La protection des frontières de l’Europe : un enjeu de souveraineté
    Il était sans doute inévitable qu’un jour ou l’autre, l’Union européenne se heurte frontalement à la question migratoire comme elle a failli se fracasser sur la crise de l’euro. Les raisons en sont les mêmes. Le traité de Maastricht et les accords de Schengen reposent sur le même paradigme : l’abolition des frontières internes sans organisation et moyen de défendre une frontière européenne extérieure inexistante. Les deux questions sont d’ailleurs liées et ont la même origine : la réalisation du marché unique avec ses quatre libertés, dont la liberté de circulation des personnes. L’Union européenne s’est construite comme un espace ouvert sans frontière définie, extensible à l’infini au rythme des adhésions. Les frontières de l’Union européenne restent indéterminées. Le traité de Lisbonne stipule que « tout Etat européen qui respecte les valeurs visées à l’article 2 et s’engage à les promouvoir peut demander à devenir membre de l’union » (art 49 du TUE), mais il ne définit pas ce qu’est un Etat européen. Pourquoi négocier avec la Turquie et pas avec la Russie, alors que l’un et l’autre ont un ancrage européen, fut-il minime, à coté de vastes espaces asiatiques. Faut-il retenir un critère géographique, culturel, historique, religieux ?
    L’Union européenne n’étant pas un Etat au sens juridique du terme, ne peut pas avoir une frontière propre. Les frontières de l’Union européenne ne peuvent être que celles des Etats membres. Leur défense relève donc de la souveraineté de ceux-ci alors que de nombreux gouvernements réclament « une protection des frontières de l’Europe ». Lors du conseil européen des ministres de l’intérieur de juillet 2018, le ministre autrichien, Herbert Kickl, a déclaré que « la seule solidarité qui vaille désormais entre européens concerne la gestion des frontières extérieures de l’Union » et son homologue italien, Matteo Salvini a réclamé « une protection des frontières européennes ». Qui doit en avoir la charge ? L’Union européenne ou les Etats-membres ? Il est curieux de noter que cette question n’a suscité aucun débat.
    Comme toujours, les questions politiques en Europe ne sont abordées qu’indirectement, à travers des mécanismes institutionnels, ici l’Agence européenne des garde-frontières et de garde-côtes (l’ancienne FRONTEX). Le conseil européen de juillet 2018 avait acté le renforcement des moyens de l’Agence en portant ses effectifs à 10 000 agents d’ici à 2020 pour en faire une « véritable police européenne des frontières extérieures ». Deux mois plus tard, quand le Conseil européen a voulu mettre cette décision en pratique, le premier ministre hongrois, Viktor Orban, a estimé ne pas être lié et dénoncé une atteinte inadmissible à la souveraineté nationale de son pays. Il a été aussitôt rejoint par le gouvernement tchèque, dont le pays n’a pourtant aucune frontière extérieure. Mais si chacun est libre de faire sa propre police comment s’assurer que les moyens mis en œuvre sont conformes aux valeurs de l’Union ?
    La conséquence de cette situation est une dislocation progressive de l’espace Schengen. Tout en proclamant haut et fort leur attachement à la libre circulation des personnes au sein de l’Union, les gouvernements ont les uns après les autres remis en place des contrôles aux frontières. De transitoires, comme les accords y autorisent les Etats dans des circonstances particulières, ces mesures tendent à devenir permanentes. Cinq pays (l’Allemagne, l’Autriche, le Danemark, la Suède et la Norvège) sont aujourd’hui dans l’illégalité et ne peuvent justifier la prolongation de la fermeture de leurs frontières. La France est dans une situation identique mais s’abrite derrière le risque de terrorisme. Elle maintient ainsi fermé la frontière de Vintimille avec l’Italie et les passages dans les Alpes, au grand dam du gouvernement italien, et ce dès avant l’arrivée de Mattéo Salvini au ministère italien de l’intérieur. La France a aussi rétabli des contrôles à Irun, à la frontière avec l’Espagne. Elle n’est pas non plus la dernière a réclamé une révision des accords de Schengen pour pouvoir mieux se refermer sur soi.
    Ce n’est pas cette voie qui devrait être suivie mais, à l’inverse, il conviendrait de compléter ces accords en allant jusqu’au bout de leur logique en considérant que la libre circulation intérieure implique une reconnaissance d’une frontière extérieure dont la protection doit être assurée par une « police des frontières européenne », ce qui n’empêcherait nullement celle-ci d’agir en étroite coopération avec les polices nationales. Avant de dire que cette solution, dans le contexte actuel, est inenvisageable, encore conviendrait-il de la mettre sur la table et d’en débattre autrement qu’à travers le seul renforcement des moyens de Frontex. Le débat sur la souveraineté ne peut pas se faire par la bande.
    Gestion et répartition des migrants : un enjeu de solidarité
    Les migrations sont une affaire européenne, pas de chacun des Etats. Elles nécessitent un traitement européen, pas des traitements nationaux. Elles ne se limitent pas à l’arrivée de réfugiés aux frontières extérieures de l’Union, elles concernent toutes les frontières des Etats. Pays d’entrée, pays de destination, pays de transit, tous sont aux prises avec la question migratoire. Elle exige de la solidarité, elle fait totalement défaut. Tous les gouvernements sont d’accord sur un point : « un bon réfugié est un réfugié qui n’entre pas dans l’Union » qui est refoulé avant même d’avoir mis le pied sur le territoire de l’Union. D’où les politiques visant à déléguer à des pays tiers la rétention des candidats à l’immigration. Angela Merkel n’a pas innové en signant un accord avec Ankara. L’Italie de Berlusconi a été la première, dès 2008, a négocié des accords de rétention avec la Libye de Kadhafi et le Niger et ceux avec la Libye ont été renouvelés en 2016-2017, sous le gouvernement de centre gauche de Gentiloni.
    Par ailleurs, le Conseil européen des 28 et 29 juin 2018, a décidé de créer des « plates-formes régionales de désembarquement », ou « centres contrôlés » de tri des migrants qui seraient implantés dans les pays membres volontaires ou en dehors de l’Union, notamment dans les pays du sud de la Méditerranée. Mais ces derniers ne sont guère plus volontaires que les Etats membres. Ils peuvent légitimement craindre de se retrouver avec les mêmes difficultés que la France à Calais, avec sans doute une pression plus grande des passeurs sur les réfugiés cherchant coûte que coûte à rejoindre l’Union européenne. Présentés comme des lieux d’enregistrement des réfugiés et d’accueil temporaire, le temps de statuer sur leur sort, ces « centres contrôlés » ne seraient qu’une forme déguisée de centres d’enfermement et de détention, sorte de Guantanamo soft, avant de trouver les moyens (et les accords nécessaires) de reconduire la grande majorité d’entre eux vers leur pays d’origine. Les Etats membres comme la Commission espèrent avec cette solution avoir trouvé une alternative à l’échec des quotas de répartition et à la révision du règlement dit de « Dublin ».
    Le règlement dit de « Dublin » a été adopté avant l’élargissement aux pays de l’Est, au moment de l’adoption des accords de Schengen. Il a fait depuis l’objet de deux révisions. La version en vigueur, Dublin III, a été adoptée en 2013. Elle prévoit que le pays responsable de l’examen d’une demande d’asile d’un migrant est le premier Etat membre où ont été enregistrées les empreintes digitales du requérant. En vertu de ce texte, une demande d’asile ne peut être examinée que par un seul pays et si la demande est déposée dans un Etat membre autre que le pays d’entrée, le demandeur d’asile doit être reconduit dans ce pays. Au bout de six mois, si le migrant n’a pas été expulsé, il peut cependant faire la demande d’asile dans le pays où il réside. Il en résulte d’importants flux intra-européens et d’interminables débats sur le renvoi des demandeurs d’asile vers les pays d’entrée (Italie, Grèce, Espagne pour l’essentiel). Toutefois, face à un afflux massif de migrants, un Etat peut toujours suspendre l’application du règlement de Dublin comme l’a fait l’Allemagne à l’été 2015. La Chancelière allemande a ainsi usé du « droit d’agir en contrepartie » pour reconnaître le statut de réfugiés à ceux auxquels elle avait ouvert les frontières et traiter directement les demandes d’asile sans les renvoyer dans le pays de première entrée.
    Le règlement de Dublin ne peut fonctionner que sur la base de la solidarité entre pays sur le traitement des admissions et la répartition de l’accueil des réfugiés. Cette solidarité n’a jamais existé y compris à travers les mécanismes d’entraide prévu à cet effet dans Dublin III. La Commission s’était engagée en décembre 2017 à faire des propositions pour que le Conseil européen statue sur une révision du règlement avant juin 2018 sur la base d’un « équilibre entre solidarité et responsabilité ». Les désaccords entre les Etats bloquent pour l’instant toute avancée. La proposition du président Macron de création d’un « véritable Office européen de l’asile », qui unifierait les règles d’admission ne réglerait en rien la question centrale de la charge du traitement des demandes et surtout des expulsions vers leur pays d’origine des déboutés de l’asile. Les pays d’entrée devraient faire l’un et l’autre. Sans solidarité, les pays d’arrivée qui sont en première ligne en supporteraient, comme aujourd’hui, toute la charge. Pourquoi l’accepteraient-ils ? Si la France et l’Allemagne s’étaient montrés solidaires avec l’Italie, les partis populistes ne seraient sans doute pas au pouvoir aujourd’hui en Italie.
    Dès lors que les pays d’entrée dans l’Union (Grèce, Italie, Espagne, depuis que la route des Balkans est fermée) ne sont pas les pays de destination des migrants, une relocalisation de ceux-ci est inévitable. Elle doit être organisée à l’échelle de l’Union, sur une base volontaire en tenant compte des capacités d’accueil des pays et des souhaits des migrants. Non au cas par cas, comme il a fallu s’y résoudre pour permettre le débarquement des réfugiés sauvés en mer. C’est à cette condition que la libre circulation pourra être rétablie au sein de l’Union. La solidarité doit en être le maître mot, sans vouloir imposer l’accueil de migrants aux pays qui s’y opposent et que, de fait, très peu de migrants souhaitent rejoindre. Elle est la condition d’une hospitalité partagée.
    Construire le vivre ensemble : un enjeu culturel et social
    La question migratoire ne se réduit pas à un problème de nombre. Elle tient aussi au fait que les réfugiés ne sont pas « attendus », qu’ils ne répondent pas, comme pendant les trente glorieuses, à une demande de main d’œuvre ni n’obéissent à des considérations humanitaires de réunion des familles. Le réfugié est d’abord quelqu’un qui fuit les horreurs de son propre pays et espère trouver un havre de paix là où il sera accueilli. Il ne participe pas de cette « immigration choisie » que les gouvernements aimeraient promouvoir comme étant la « bonne » immigration. Le réfugié est d’abord un exilé. Avec lui, ce sont les horreurs du monde qui font irruption dans notre quotidien et soulignent notre impuissance à les conjurer autrement qu’en produisant plus de chaos comme en Afghanistan, en Irak, en Libye ou en Syrie. Par nature, la question migratoire est un produit de l’insécurité du monde qu’elle projette dans les pays d’accueil et qui, pour une partie de la population, se confond avec le terrorisme.
    Seraient-ils moins nombreux à arriver sur les côtes italiennes, à débarquer en Grèce ou en Espagne, à tenter le passage par les Balkans, à vouloir rejoindre la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne ou les pays du Nord, que le problème serait le même. Les réfugiés ravivent une présence étrangère sur le sol national. Ils rappellent à tous que d’autres sont venus avant eux, se sont installés et ont été plus ou moins bien acceptés, que leurs enfants sont devenus des nationaux mais restent souvent vus comme des étrangers, discriminés du fait de l’origine de leurs parents, éprouvant de ce fait des difficultés pour trouver un emploi ou un logement. La situation, à cet égard, est très différente d’un pays à l’autre de l’Union européenne. Dans le cas français, la partie la plus récente de cette population est issue des anciennes colonies, ce qui constitue chez certains un facteur particulier de crispation. Enfin, les anciens migrants ne sont pas nécessairement les plus accueillants aux nouveaux venus. Plus leur situation est précaire, plus ils sont eux-mêmes discriminés, plus ils redoutent que la propagande nationaliste, qui alimente l’hostilité d’une partie de la population, ne viennent mettre en cause leurs maigres acquis. L’expérience historique de l’Europe ne peut malheureusement que leur donner raison.
    La solution ne réside dans aucune distinction entre groupes sociaux en fonction de leur origine géographique ou de leur religion mais, au contraire, dans la construction d’un vivre ensemble bâti sur une politique globale qui repose sur les mêmes droits accordés à chacun et sur le respect des mêmes devoirs en vigueur dans le pays d’accueil. C’est le point manquant des débats actuels qui se polarisent entre deux extrêmes, ceux qui mettent en avant le devoir absolu d’accueil sans demander de contreparties et ceux qui entendent ériger des murs pour refouler les migrants, qu’ils relèvent du droit d’asile ou soit à la recherche d’une vie meilleure. Entre ces deux positions extrêmes, celle qui consiste à organiser l’arrivée des nouveaux venus dans le cadre d’un contrat social dans lequel ces derniers s’engageraient (quels que soient leurs projets à court ou moyen terme) à respecter les usages, les modes de vie, la dimension du bien commun, les rapports homme/femme, a le plus grand mal à se faire entendre des décideurs dans la mesure où elle contrarie la dimension communautariste très majoritaire. Le refus du migrant/réfugié se nourrit de cette incapacité à dessiner un vivre ensemble qui ne peut exister que si, justement, il est le fruit d’une délibération collective et de l’élaboration d’un minimum de consensus sur les conditions d’installation des nouveaux venus et du contrat passé avec eux.
    L’une des questions les plus ardues à résoudre est celle de la qualification de la durée du séjour : l’accueil se veut-il définitif ou transitoire ? Comment faire en sorte qu’un accueil transitoire, motivé par la durée de traitement des dossiers, ne se mue pas en un accueil définitif tant qu’il n’a pas été décidé ? Le réfugié qui relève du droit d’asile peut garder l’espoir d’un retour plus ou moins rapide dans son pays. Le migrant, qui cherche de meilleures conditions de vie, se situera davantage dans une perspective d’installation durable, voire définitive. Dans tous les cas, les autorités publiques, en lien avec les associations, devraient avoir à cœur de favoriser un début de retour à une vie normale, de favoriser l’apprentissage de la langue du pays, notamment en scolarisant les enfants dans des écoles publiques, et d’instruire les nouveaux venus de leurs droits et des règles de vie qu’ils devront respecter.
    Le rapport entre hommes et femmes est évidemment une question majeure, d’autant plus que l’immigration est massivement masculine et jeune et qu’elle peut apporter avec elle les usages, les habitudes, les modes de relations qui sont sources des frustrations sexuelles qui caractérisent les pays d’où les migrants sont originaires. Les agressions de la nuit du nouvel an 2016 à Cologne sont à cet égard une plaie vive. De même que les agressions commises par des émigrés, dont sont victimes les jeunes filles, que la presse allemande relate régulièrement et qui alimente les craintes de la population.
    On aurait tort toutefois de se focaliser sur les seuls nouveaux venus. Cette question concerne tout autant les populations d’origine étrangère installées depuis plus en moins longtemps en Europe et qui tendent à perpétuer leurs coutumes et traditions culturelles et religieuses, qui sont en général, très oppressive pour les femmes et les jeunes filles. Il existe en Europe des différences notables à cet égard, selon que l’importation de ces coutumes et traditions sont plus ou moins admises et le communautarisme accepté. Toutefois, quelles que soient ces différences, les principes d’égalité, de liberté, d’égale dignité entre hommes et femmes sont partout constitutifs des valeurs de l’Union européenne et il appartient aux différents Etats de les faire respecter par tous. Ils doivent partout primer sur les prescriptions religieuses et les coutumes des pays d’origine.
    L’instrumentalisation politique à des fins de soumission des femmes par certains groupes islamiques radicalisés qui tentent d’importer la charia dans les sociétés occidentales (comme en Belgique où le parti « Islam » prône la Charia et l’interdiction de l’avortement) doit partout être combattue. De ce point de vue, il faut saluer la lucidité des électeurs belges qui n’ont pas renouvelé le mandat des deux élus du parti Islam). A l’inverse, le refus de toute immigration ne doit pas être prétexte à un pseudo discours nataliste qui vise à remettre an cause le droit à l’avortement ou dans les pays qui ne le reconnaisse pas à en perpétuer l’interdiction, voir à le criminaliser. Le regard que nous portons sur les migrants est jusqu’à un certain point le miroir de celui que nous renvoient les populations d’origine étrangère installées en Europe. Le refus d’une nouvelle hospitalité se nourrit de la dégradation de celle accordée à ces populations. Le racisme et la xénophobie dont elles sont victimes rejaillissent inévitablement sur l’acception de nouveaux venus.
    Culturelle, la question migratoire est aussi avant tout une question sociale, qui doit être traitée globalement et non par segment de population. Pourquoi accorder plus de droits et de sollicitude aux réfugiés qu’aux SDF ? parce que l’un était ingénieur ou médecin dans son pays et pas l’autre ? Pourquoi les uns auraient droit à un hébergement, même provisoire, quand les autres ne parviennent pas à en trouver un ? Dans un contexte de budget contraint, comment l’Etat trouve-t-il les crédits pour aider les réfugiés quand ils rabotent les aides sociales ? Comment faire accepter aux populations l’austérité bruxelloise face aux charges budgétaires que représente l’accueil des migrants pour des pays comme la Grèce ou l’Italie ? Comment convaincre que l’accueil de réfugiés n’est pas source d’insécurité quand celle-ci est le lot de nombreuses banlieues à forte proportion de population d’origine immigrée ? A cibler (positivement) les uns, on risque de cibler (négativement) les autres, ou du moins de leur donner le sentiment d’être moins bien traité et surtout moins bien considéré. Cette question est particulièrement aiguë. Elle touche en premier les milieux populaires, y compris ceux des milieux ruraux qui fantasmes une immigration qu’ils ne vivent pas au quotidien.
    Le travail admirable des bénévoles et des associations ne répond pas à ce problème. Ils tentent de réparer l’absence d’Etat mais ils ne peuvent pas le remplacer. Bénévoles et associations sont dans le care, l’attention apporté au migrant. Ils ne sont pas dans le vivre ensemble, qui nécessite de tenir compte de la population locale qui, si elle n’est pas impliquée, se trouve en situation de devoir accueillir malgré elle des étrangers qui ne parlent pas leur langue, ni ne partage leur mode de vie et, pour une part d’entre eux, leur religion. C’est de cette situation que naît la peur du migrant, le sentiment qu’il constitue une menace pour la tranquillité, la sécurité et la démocratie. L’hospitalité ne peut se limiter à une démarche individuelle, si généreuse soit-elle. Ce n’est pas un simple problème d’accueil. Contre les populistes, il faut rappeler avec force que la question migratoire est d’abord une question sociale, qui n’a d’issue que sociale, qui exige une politique sociale ambitieuses qui s’adresse à tous. Elle est un enjeu d’Etat, un engagement collectif. Une politique d’Etat.
    * * *
    « Il est temps que l’Europe s’attache à définir une politique migratoire ambitieuse et équilibrée » déclarait récemment Terra Nova dans une note commune avec l’institut Montaigne. Il y a effectivement urgence à ce que l’Union européenne ne reproduise pas l’aveuglement des années 2013-2015 et anticipe des migrations de demain, qu’elles soient mues par la démographie et le sous-développement du continent africain, le dérèglement climatique ou les conflits armés aux portes de l’Europe. Une politique européenne de l’asile, qui unifie la façon dont le droit et la convention de Genève sont appliquées par les différents pays est une nécessité reconnue par tous les acteurs de terrain. Il est pourtant peu probable que l’Union européenne progresse dans cette voie dans les prochaines années. La montée des populismes ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt. Pour la plupart des gouvernements, tout progrès pour parvenir à une politique européenne de l’asile avec une harmonisation complète des législations et des pratiques est vu comme un signal positif d’acceptation de plus de migrants, candidats ou non au statut de réfugié, alors qu’ils entendent, au contraire, en tarir le flux. Il importe par conséquent de changer les priorités et de s’attacher à transformer les conditions du vivre ensemble, à prendre en considération les questions culturelles et sociales, à mieux faire respecter le droit des femmes, de toutes les femmes ou encore à mieux se préoccuper des personnes à faibles ressources sans discrimination ni stigmatisation. Il importe également de changer d’angle d’approche et de remplacer la vision sécuritaire actuelle par une véritable politique d’hospitalité. C’est le moindre qu’on puisse attendre de la Commission européenne si elle s’autorisait à reprendre la main sur le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement et de redevenir une force de proposition sur un sujet capital pour l’avenir de l’union européenne. Vaste programme !

    Avis de Ph G

    Cher Gaëtan,
    Il me semble qu’il faut plus affirmer et argumenter quelques idées que tu esquisses :

    La France est un vieux pays d’immigration, en particulier dans les 50 dernières années Mais la question de l’intégration n’a pas été tout à fait résolue, c’est l’évidence . Environ 1/4 des français ont un parent étranger et 11% de la population résidente est immigrée. La France a donc pris plus que sa part, dans une période de chômage de masse, bien plus que des pays voisins tels que l’Espagne ou l’Italie .
    Les migrations d’aujourd’hui ne sont pas principalement politiques : les réfugiés au sens du droit d’asile sont une minorité. C’est vrai par exemple de l’Aquarius. C’est pourquoi focaliser le débat sur la seule question du droit d’asile ne répond pas à la question politique majeure qui nous est posée.
    C’est une immigration de pauvreté qui est entretenue par des réseaux mafieux de part et d’autre de la Méditerranée (en particulier en Libye).
    Il s’agit d’une jeunesse africaine qui cherche son avenir en Europe, en France quand elle est francophone, du fait de l’explosion démographique en Afrique subsaharienne, ou de l’absence de perspectives dans le Maghreb. Elle ne peut qu’alimenter l’immigration clandestine, puisque notre immigration de travail est déjà restreinte.
    Nous devrons faire face à ce phénomène migratoire dans les prochaines années et décennies qui peut susciter, on le voit depuis 2015, des réactions politiques et électorales dangereuses (du Brexit à l’Italie en passant par l’Autriche et l’Allemagne, sans parler des extrêmes crispations dans les pays d’Europe centrale, en plein déclin démographique).
    La réponse humanitaire si elle peut être une réponse ponctuelle ne peut être la réponse politique. Elle ne constitue d’ailleurs pas une réponse politique.

    (J’écris cela depuis un taxi, j’espère que ce n’est pas trop décousu )
    Amitiés
    Ph

    La crise politique liée à la question migratoire semble venir achever un processus souterrain qui ébranle et fragilise tout l’ordre européen depuis des années.
    Elle sert à la fois de révélateur et d’accélérateur à une recomposition mortelle pour la social démocratie. Comme si un basculement longtemps hésitant était en train de se produire.
    Ses effets électoraux en Italie, en Allemagne, auparavant au RU, traduisent l’état d’exaspération dans lequel se trouvent les peuples européens.
    Les classes populaires franchissent désormais allègrement le pas qui les séparaient encore des courants nationalistes et xénophobes. Le vote italien, et plus encore aux élections locales de ce week-end, en témoigne. Mais le rapprochement de la CSU et de l’AfD pourrait à son tour l’illustrer.
    Symétriquement, les classes moyennes fragilisées par les politiques restrictives sont désormais en train de suivre en poussant la droite plus à droite et pour celles qui résistent en poussant la gauche plus à gauche.
    Celle-ci est du coup en danger de mort. La tentation sera forte en effet pour ses dirigeants de venir partout au secours des gouvernements modérés au risque de disparaître en leur sein …ou d’être emportés avec eux.
    La tripartition qui s’est opérée en France l’an passé et qui aboutit à réduire le paysage politique à un affrontement entre un rassemblement des modérés, une droite identitaire et une gauche protestataire se répand ailleurs en Europe à grande vitesse : ainsi en Allemagne où la cassure possible entre la CSU et la CDU achèverait l’intégration idéologique des centres, gauche et droit; ainsi en Italie où le parti démocrate de Renzi rêve de constituer une coalition centrale face aux nationalistes xénophobes de la Ligue et aux “populistes” du M5S.
    Comment éviter pareil destin ?
    Comment, pour la gauche, retrouver l’écoute des peuples sans renoncer à sa capacité à gouverner ?
    Seulement en leur apportant des garanties.
    Garanties sur la protection qu’ils attendent pour leurs emplois, le modèle social et la cohésion de nos sociétés ! Garanties aussi sur le fait que l’accueil de migrants ne se fera pas à leur détriment !
    Est-ce scandaleux ?
    Les gauches européennes doivent donc porter une vraie exigence : celle d’une reprise en main par l’Europe de son destin.
    Face aux États Unis dont la politique joue aujourd’hui clairement contre nos intérêts, sur le plan économique et commercial, mais aussi diplomatique en Iran et plus globalement au Proche Orient, sur le plan de la sécurité du Continent en particulier s’agissant de la Russie. La Gauche devrait être au premier rang pour la dénoncer, et proposer par ex de répondre aux lois extra territoriales us par des mesures interdisant à nos banques et entreprises de s’y soumettre …
    Face à la crise migratoire, ensuite, qui ne constitue que le premier épisode d’une série de tensions à venir inscrites dans la démographie de l’Afrique et auxquelles nous ne pourrons répondre que par une stratégie de coopération, de développement et d’échanges sur le long terme avec l’ouest sub-saharien incluant des possibilités d’accueil et de retour à négocier.
    Mais dans l’attente, prenons garde à ne pas nous laisser entraîner dans une surenchère morale dont nous n’avons pas les moyens et dont les contradictions minent notre crédibilité.
    Si nous ne pouvons accepter le discours xénophobe de la Ligue, le condamner violemment ne sert à rien.
    Sinon à valoriser ceux qui le portent, à l’instar des offensives contre productives conduites depuis des années sans succès contre le FN. Et à aider E.Macron à se présenter en rempart, ambition que trahit son agressivité face au nouveau gouvernement italien.
    Sinon à souligner notre hypocrisie : non seulement nous avons depuis des années abandonné l’Italie à son sort mais nous nous gardons bien d’ajuster nos actes à nos paroles puisque la France met tout en œuvre, gouvernement après gouvernement, pour accueillir le moins de réfugiés possible. Et pour cause, dans un pays gangrené par plus de 20 ans de chômage de masse.
    Il ne s’agit certes pas de renoncer à nos valeurs mais de ne pas nous réfugier derrière elles.
    La seule façon d’y être vraiment fidèle est de construire une réponse solide et autonome.
    En donnant tout d’abord son sens à ce débat et en rapportant le désordre migratoire au désordre général que produit un système eco à l’origine de la misère et du chaos des pays d’origine. Les flux migratoires ne sont pas l’effet d’une fatalité mais de mécanismes de prédation qui sont à l’œuvre partout. L’enjeu est bien de reconnecter le débat migratoire et le débat idéologique sur l’économie et le monde que nous voulons.
    En ré-affirmant ensuite la nécessité d’une politique de relance afin de créer les emplois et de dégager les marges de manœuvre indispensables à l’intégration de tous.
    Politiques économiques et politiques migratoires ne sont pas étanches l’une vis à vis de l’autre.
    En assumant enfin une politique de maîtrise des flux destinée aussi à protéger les migrants potentiels : renforcement de Frontex, harmonisation des règles de l’asile, hot spot en Afrique précurseurs de la stratégie d’échanges et de développement évoquée précédemment, et solidarité plus forte dans l’accueil lors des crises humanitaires, la politique ne pouvant transiger lorsque des vies sont en danger.
    Face aux enjeux enfin de l’autre versant, économique, de la mondialisation en portant un projet de développement tourné vers l’avenir à l’abri de l’euro : mise en place d’un vrai budget destiné à corriger les déséquilibres structurels entre nos économies, plan massif d’investissement dans la transition écologique et numérique…
    Le tout pourrait être formalisé dans un Pacte pour une Europe de gauche qu’une Conférence des partis et des forces concernées pourrait adopter.

    Entretien avec Didier Leschi

    La situation : un flot de demande d’asile qui déstabilise une situation tendue avec effet de congestion à l’arrivée.
    En amont, une augmentation trop forte parce qu’injustifiée de la demande d’asile : en provenance des pays auxquels l’ouverture récente de négociations UE a débouché sur une vague de demandes permises par la suppression des visas (Géorgie, Albanie, accessoirement Ukraine) ; d’Afghans déboutés venant d’Allemagne en profitant des règles de Dublin ( avec pour effet de saturer les places d’accueil. Seulement 600 à Paris); un taux d’éloignement très faible lié en particulier au non respect des accords passés avec les pays d’origine et la liberté d’installation reconnue aux réfugiés qui débouche sur une hyper concentration en Île-de-France et notamment en Seine-Saint-Denis.
    En aval, une insuffisance de logement, une faiblesse de l’apprentissage de la langue, l’absence d’un processus de professionnalisation et au final une embolie sociale très localisée.

    La République repose sur des principes, collectivement discutés et démocratiquement établis, validés par le consensus dont ils font l’objet sur la durée.
    Quels sont-ils ?
    -Le respect de la souveraineté politique de la nation : celle-ci a des frontières . Il n’existe donc pas de droit inconditionnel à l’entrée sur le territoire national. Celle-ci est soumise à des règles de droit, d’origine externe ou interne.
    -Le respect des engagements internationaux auxquels nous avons souscrits, en matière d’asile par exemple, qui nous créent des obligations à l’égard de certaines catégories de migrants, ou s’agissant d’accords bilatéraux ou de règles européennes ( Schengen ) à l’égard des ressortissants de certains pays tiers ( Algérie etc.)
    -Le respect de nos principes de valeur constitutionnelle et des droits qui en découlent comme le regroupement familial par ex., qui s’adressent à l’Etat mais aussi aux étrangers admis à résider en France : laïcité, égalité des sexes etc.
    Le respect de ces principes conduit la France à « prendre sa part de la misère du monde » malgré les reproches qui lui sont adressés.
    Ainsi accueille-t-elle en moyenne 250.000 personnes supplémentaires par an ( en augmentation de 50% sur 10 ans ) et n’a, en comparaison des autres États de l’UE, mis que peu de restrictions au regroupement familial tout en se montrant plutôt généreuse en matière d’asile.

    Le cadre européen
    L’article 3 du traité sur l’Union européenne (TUE) impose à l’Union européenne, en tant qu’acteur non étatique, de contribuer au respect des principes des Nations Unies ainsi qu’au strict respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies, dans le cadre de son rôle de promotion et de protection des droits de l’homme, en portant une attention particulière aux droits de l’enfant. L’Union européenne dispose d’une compétence partagée pour mettre place une politique d’immigration commune. En vertu de l’article 67, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’Union «[…] développe une politique commune en matière d’asile, d’immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l’égard des ressortissants des pays tiers». L’expression «ressortissants des pays tiers» couvre également les apatrides. L’article 78 du TFUE confie à l’Union le soin de développer «une politique commune en matière d’asile, de protection subsidiaire et de protection temporaire». Cet article définit également les rôles du Parlement européen et du Conseil, en tant que co-législateurs, dans l’adoption de mesures relatives à un «système européen commun d’asile». En cas d’arrivée soudaine de ressortissants de pays tiers sur le sol d’un ou de plusieurs États membres, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter des mesures provisoires après consultation du Parlement européen. L’article 79, paragraphe 1, du TFUE prévoit l’adoption de mesures renforcées par le Parlement européen et le Conseil conformément à la procédure législative ordinaire en vue de combattre l’immigration illégale et la traite des êtres humains. L’article 79, paragraphe 3, du TFUE permet quant à lui à l’Union de «conclure avec des pays tiers des accords visant la réadmission, dans les pays d’origine ou de provenance, de ressortissants de pays tiers qui ne remplissent pas ou qui ne remplissent plus les conditions d’entrée, de présence ou de séjour sur le territoire de l’un des États membres». L’article 80 du TFUE prévoit l’application du «principe de solidarité et de partage équitable de responsabilités entre les États membres, y compris sur le plan financier» lorsque ceux-ci entreprennent des actions en matière de contrôle aux frontières, d’asile ou d’immigration. La charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantit le droit d’asile (article 18) ainsi que la protection en cas d’éloignement, d’expulsion et d’extradition (article 19). La validité et la légalité de la législation secondaire de l’Union, parmi laquelle les directives et règlements adoptés dans le domaine de l’asile, sont subordonnées au respect de la charte.
    Le régime d’asile européen commun doit respecter les obligations des États au titre de la convention de 1951 relative au statut des réfugiés et de son protocole de 1967 (convention de Genève) ainsi que d’autres traités pertinents, tels que la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant. Il doit également respecter le principe de non-refoulement figurant à l’article 33 de la convention de Genève3.
    La majorité des fonds de l’Union destinés aux politiques migratoires sont alloués au titre de la rubrique 3 (Sécurité et citoyenneté) et de la rubrique 4 (L’Europe dans le monde) du cadre financier pluriannuel (CFP). Cela inclut le Fonds «Asile, migration et intégration», ayant pour objectif général de contribuer à la gestion efficace des flux migratoires ainsi qu’à la mise en place d’une approche commune en matière d’asile et d’immigration, et le Fonds pour la sécurité intérieure (FSI), qui comprend un instrument de soutien financier à la gestion des frontières extérieures et à la politique commune des visas (FSI-Frontières et visas) et un instrument de soutien financier à la coopération policière, à la prévention et à la répression de la criminalité, en ce compris les activités liées au trafic de migrants, ainsi qu’à la gestion des crises. Selon les données d’avril 2018, la dotation initiale du Fonds «Asile, migration et intégration» dans le CFP 2014-2020 a augmenté de façon notable, passant de 3,8 milliards d’euros à 6,6 milliards d’euros, tandis que l’enveloppe du FSI n’a connu qu’une légère hausse, de 3,7 milliards d’euros à 3,8 milliards d’euros.
    Des agences décentralisées de l’Union travaillent également sur la question migratoire, notamment l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), qui participe à la gestion et au contrôle des frontières extérieures, le Bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO), qui contribue à la mise en œuvre des obligations des États membres au titre du régime d’asile, et l’Agence de l’Union européenne pour la coopération des services répressifs (Europol), qui facilite la coopération policière entre les États membres, notamment dans le domaine du trafic de migrants. Les agences européennes fonctionnent dans le cadre de la gestion indirecte, ce qui signifie que la Commission leur délègue l’exécution budgétaire. Selon les données de 2018, la contribution totale de l’Union à l’agence Frontex au titre du CFP 2014-2020 (1.638 millions d’euros en avril 2018) a augmenté par rapport aux engagements initiaux, qui s’élevaient à 628 millions d’euros, la contribution accordée à l’EASO est passée des 109 millions d’euros prévus à 456 millions d’euros versés (avril 2018), et celle accordée à Europol, de 654 millions d’euros à 753 millions d’euros (avril 2018).
    L’instrument d’aide d’urgence est un soutien financier que peut apporter l’Union européenne jusqu’en 2019 dans l’éventualité où une catastrophe d’une ampleur et d’un impact exceptionnels surviendrait dans l’Union, et uniquement lorsqu’aucun autre instrument à la disposition des États membres ou de l’Union n’est suffisant pour y face. En avril 2018, la Commission a dégagé 605 millions d’euros au titre de l’aide d’urgence en faveur des réfugiés en Grèce. Des fonds provenant par exemple du programme-cadre pour la recherche et l’innovation «Horizon 2020», du Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD), du Fonds européen de développement régional (FEDER) et du Fonds social européen (FSE) permettent également de financer la politique migratoire, plus particulièrement l’intégration des réfugiés et des migrants. D’autres instruments financiers ont été mis en place afin de répondre aux nouvelles priorités de la politique migratoire extérieure de l’Union, dont la facilité en faveur des réfugiés en Turquie, le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique et le Fonds européen pour le développement durable. Ces instruments ont été créés dans le but d’utiliser les ressources du budget de l’Union et celles des États membres. Cependant, respecter les engagements nationaux s’est souvent avéré difficile. Le financement de l’Union en matière de migration devrait continuer à augmenter jusqu’en 2020 afin d’appuyer les progrès réalisés dans le domaine de la gestion des migrations dans tous les États membres.

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