Notre thèse : NON ! Pour accéder au pouvoir et y réussir ses passages, la gauche doit au contraire proposer au pays une sortie du « crétinisme présidentiel ».
L’attachement à la démocratie, réaffirmé au début du XXème siècle par Léon Blum, est une valeur cardinale de la gauche et un fil directeur de son action à travers les âges.
Dans la filiation du combat révolutionnaire et républicain pour la souveraineté populaire et le suffrage universel, c’est la gauche contemporaine qui a ainsi œuvré, par exemple, pour étendre, à travers les lois de décentralisation, les lois sur la parité ou la restriction du cumul des mandats, les libertés communales ou l’accès aux fonctions électives.
Cette inspiration fondamentale peut la pousser demain à porter d’autres réformes, pour raffermir la démocratie sociale au sein de l’entreprise ou pour accroître l’intervention directe des citoyens dans les affaires de la cité.
Pendant longtemps, ce prisme démocratique s’est également traduit, dans le domaine institutionnel, par la défense d’un régime parlementaire et la méfiance corrélative à l’égard du pouvoir personnel.
Sous l’influence de François Mitterrand qui, après avoir durement critiqué le régime à son origine, avait lui-même endossé les habits du monarque républicain, et au nom d’un réalisme politique qui postule l’attachement indéfectible du peuple français à « son » élection présidentielle, la gauche contemporaine a pourtant fini par se couler dans les institutions de la Vème République, au point d’ailleurs d’en renforcer elle-même la logique par l’inversion du calendrier en 2001. Tout en conservant dans ses cartons des projets de réforme constitutionnelle pour « revaloriser le Parlement », elle a ratifié par sa pratique constante la soumission hiérarchique de tous les pouvoirs au Président élu par le suffrage universel.
Ce retournement historique a pu, il est vrai, s’alimenter du constat que ces institutions, initialement taillées pour le Général De Gaulle, avaient finalement permis l’alternance et offert à la gauche des périodes longues et stables d’exercice du pouvoir.
- L’expérience des vingt dernières années invite pourtant à la gauche à réviser aujourd’hui profondément son jugement :
les travers initiaux de la monarchie républicaine n’ont fait, en premier lieu, que se confirmer et s’accroître. Dans une économie mondialisée, une société fragmentée et surinformée, où toute réforme suscite son lot inévitable de contradictions et d’oppositions, le mythe du leader omniscient, jupitérien, capable de voir mieux que tout le monde les chemins à emprunter, et le mythe d’une parole présidentielle capable de porter à elle seul le récit national sont en réalité des survivances surannées, décalées, tant il paraît au contraire évident que la complexité actuelle requiert l’intelligence collective, le contrat et le compromis politique entre les points de vue. - La gauche n’a pas montré, en outre, depuis F. Mitterrand, une grande aptitude à gagner l’élection présidentielle. Même si chaque période d’opposition génère en son sein des vocations plus ou moins légitimes qui entretiennent l’appétence collective pour ce rendez-vous majeur, force est de constater que les idées et les programmes de la gauche ont régulièrement souffert depuis vingt ans de devoir être corrélés au pouvoir de séduction et de conviction personnel d’un ou d’une seule de ses membres.
- Le dernier quinquennat a surtout confirmé, de façon éclatante, que la monarchie républicaine de pouvoir qui organise la subordination explicite des partis et des parlementaires de la majorité aux moindres décisions de l’exécutif a pour effet de rendre impossible l’application même des programmes de gauche, aussi modérés soient-ils. La pression colossale exercée par l’alliance des milieux d’affaires et de la technostructure d’État sur le sommet de la pyramide pour détourner le pouvoir de gauche de ses velléités initiales et le réinscrire dans l’orbite néo-libérale et l’agenda voulu par « le cercle de la raison » ne trouve en effet dans ce système aucun contrepoids dans les institutions, dès lors que les parlementaires et les militants sont soumis à l’obligation morale de loyauté et à la menace permanente du 49-3 et de la dissolution.
Notre conviction est que la gauche aura du mal à revenir au pouvoir et, pire encore, à réussir une expérience de pouvoir dont elle puisse être fière, si elle ne rompt pas sérieusement avec ce que nous appelons le « crétinisme présidentiel » et si elle ne prend pas en charge la responsabilité de désintoxiquer le pays en lui proposant un scénario de sortie crédible de ce piège terrible du primat de l’élection présidentielle.
Notre hypothèse est que la probable et nouvelle désillusion que provoquera le macronisme, énième et dérisoire tentative pour recréer la magie perdue de « l’homme providentiel », ouvre un espace politique et culturel pour mener ce combat de dépassement.
Celui-ci ne suppose pas d’abolir l’élection présidentielle, qui aura bel et bien lieu en 2022, mais de la ramener à sa juste portée, celle de l’élection du garant des institutions, chef de la diplomatie et des armées, en construisant bien en amont de la séquence électorale un programme commun à l’ensemble de la gauche non libérale et en proposant aux Français d’en faire la base d’une majorité parlementaire aux élections législatives, indépendamment du résultat des élections présidentielles.
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